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Réflexions post-électorales par Elie Kling

« Alors, tu regrettes ? ». Réflexions post-électorales.
ELIE KLING

Commençons par la fin : je ne regrette pas une seconde d’avoir soutenu Benett et Shaked.
Bien entendu, si j’avais su qu’ils ne passeraient pas, j’aurais voté autrement. Mais il est facile d’être « חכם לאחר מעשה » , comme on dit en hébreu. Personne, ni les sondages, ni les partisans, ni les adversaires du Yamin Héhadash n’envisageaient un tel résultat. Rien à voir donc avec le soutien irresponsable apporté par certains, il y a 4 ans au parti d’Elie Yishay qui était donné perdant pratiquement partout, sauf dans le cœur de ses partisans. Voter Benett n’était pas plus irresponsable que de voter Bayt yehoudi, Shass, Yahadout hatora, Zehout ou Merets. Tous tournaient autour de 6 ou 7 mandats et étaient suffisamment éloignés du seuil d’éligibilité pour qu’un vote pour eux ne soit pas considéré comme inutile. Les raisons pour lesquelles il ne fallait pas voter pour les 4 derniers cités n’étaient pas celle-ci. [Soit dit en passant, ce système qui oblige plus de la moitié des électeurs (je n’ai bien sûr pas les chiffres en main, mais c’est une évidence), à droite comme à gauche, à voter pour un grand parti qui ne nous plait qu’a moitié, uniquement par calcul et en fonction des sondages, est à revoir. Le vote à deux ptakim, l’un pour la liste, l’autre pour le premier ministre, annulé en son temps par Sharon (tout en gardant un taux élevé de seuil d’éligibilité pour éviter la multiplication des petits partis), semble bien plus juste et permettrait aussi de savoir le nom du premier ministre dès la clôture du scrutin]
Je ne m’attarderai pas sur les causes extérieures de l’échec du Y.H. D’autres l’ont déjà fait et ont pratiquement tout dit : l’efficace campagne « sauvez-moi! » de Bibi le dernier jour, l’électeur israélien qui ne comprend toujours pas que c’est le plus grand bloc qui forme la majorité, la rancœur tenace des sionistes religieux qui n’ont pas digéré la manière avec laquelle Benett et Shaked ont quitté le parti, Feiglin qui finalement a réussi à séduire bien plus de jeunes kippotés que de fans telaviviens du canabis ….
Je préfère me concentrer sur ce qui m’a séduit dans ce parti et accessoirement, sur la campagne que, d’après moi, ils auraient dû mener.
Le regretté Yossef Burg disait que le plus important dans le sionisme-religieux était le trait d’union qui reliait les deux termes. La formule est belle (même si elle sous-entend qu’il pourrait exister une authentique Thora qui ne soit pas tournée vers Sion ou un authentique sionisme qui ne soit pas ancré dans nos sources bibliques et talmudiques). Mais être un trait d’union est un art difficile, celui du funambule, pouvant à tout moment trébucher d’un côté ou de l’autre de la corde.
En 2019, quel est le rôle de ce fameux trait d’union ? Les 2 camps à relier sont-ils toujours si opposés ? A l’heure où les harédim s’intègrent chaque jour un peu plus dans la société israélienne, où ils sont de plus en plus nombreux à s’enrôler à l’armée, à vouloir faire des études supérieures et à rejoindre le monde du travail, à l’heure où même les rabbanim de Shass encourage la Alya de France! (rappelez-vous qu’il y a seulement 4 ans, leur chef spirituel faisait une tournée dans l’Hexagone pour refroidir les ardeurs par trop enthousiastes des olims potentiels !), à l’heure où ils proposent même parfois d’ouvrir des écoles qui prépareraient au bac, à l’heure où d’autre part, les kiboutsim de l’Hachomer Hatsair ouvrent des synagogues et cachérisent leurs cuisines (même si le plus souvent ce sont pour des raisons de buisness), où les restos cashers sont de plus en plus nombreux , où le mouvement de Techouva touche tant de monde, où il n’y a jamais eu autant de gens qui étudient la thora en Erets Israël depuis l’époque des Tanaim (inclue!), la société israélienne a-t-elle encore besoin du trait d’union?
Le sionisme religieux est victime de son propre succès. Ses enfants, éduqués dans les yechivot tikhoniot et les oulpenot, dans les mekhinot et les yeshivot hesder, dans les midrashot et les mouvements de jeunesse, occupent aujourd’hui des postes à tous les carrefours stratégiques de la société israélienne, du high-tech à l’état-major, du monde des sciences à celui des affaires. Ils sont journalistes, musiciens, écrivains, avocats, médecins et chanteurs. On leur a si bien appris à prendre une part active au développement de l’état sous toutes ses formes, qu’ils se demandent si le politique devrait être le seul domaine où ils ne se mélangent pas au reste de la population! Ainsi, la plupart des jeunes membres de ma famille et leurs amis n’ont voté ni Benett, ni Perets. Ils sont des purs produits des institutions éducatives du sionisme religieux mais ils ont voté Likoud pour la majorité d’entre eux. Y a-t-il encore une place pour cette structure politique sectorielle qu’est le parti sioniste-religieux?
Je pense que oui. Mais à condition qu’il ne serve pas exclusivement à maintenir, développer et renforcer toutes ces belles structures éducatives, formelles et informelles qu’il a réussi à créer depuis des décennies. Je sais bien que personne d’autre ne le fera à sa place. Mais il ne peut aujourd’hui avoir comme unique vocation de maintenir les structures existantes. Pour rester attractif pour sa jeunesse et indispensable pour la société en général, il se doit de faire entendre sa voix dans deux autres directions.
1. L’expérience a montré que le Likoud ne peut garantir à lui seul l’intégrité territoriale du pays. Les pressions internationales ou le chantage des organisations terroristes ont su par le passé venir à bout des résistances idéologiques des héritiers officiels de Jabotinsky comme de Ben Gourion. La fidélité à Erets Israël est bien plus solide lorsqu’elle s’abreuve aux sources de notre Thora. Or, en cas de coup dur, on ne peut guère compter sur les Haredim. Leurs priorités sont ailleurs. Sans Derhy, Oslo ne serait pas passé et les rabbanim de la Agouda ont toujours considéré comme une provocation inutile et dangereuse, la volonté de s’installer au-delà de la ligne verte ou la résistance obstinée aux pressions internationales.
2. Mais ce n’est pas tout. Le sionisme religieux doit faire entendre une autre voix, claire et courageuse dans ce qu’il est convenu d’appeler le conflit entre pratiquants et non pratiquants. Le sacro-saint statuquo qui sert depuis si longtemps d’alibi pour repousser à l’infini les décisions qui s’imposent (et qui d’ailleurs n’existe plus vraiment, bousculé qu’il est à chaque fois que le dynamisme de la vie engendre de nouvelles problématiques) a fait son temps. Il est temps de remettre les grands débats sur le tapis: chabbat, guiyour, rapport aux mouvements non orthodoxes, mariages et divorces, éthique médicale… On attend du mouvement qui se réclame de l’enseignement de Rav Kook de jeter de nouvelle bases pour un nouveau vivre-ensemble basé à la fois sur le respect mutuel et sur le maintien de la vocation juive de notre état. À cette condition seulement, l’existence du parti est non seulement légitime mais peut aussi porter en elle l’ambition de dépasser largement le cercle de ceux qui prient 3 fois par jour. Or si le traditionnel Mafdal a depuis longtemps intégré le premier point, je doute fort qu’il en soit de même pour le second.
Le tandem Shaked-Benett, la laïque et le kippoté, prêts à se mettre d’accord sur une plateforme politique qui tient la route, c’était déjà en soi tout un symbole ! Il y a 7 ans, le parti était moribond et criblé de dettes. Le populaire et regretté Ouri Orbach réussit à convaincre la vieille garde de placer ce couple atypique à sa tête. Au début, tout se passa plutôt bien. Quelque chose de nouveau semblait vraiment se mettre en place, pour reprendre le slogan des élections de 2013 qui a vu le parti passer de 5 à 12 sièges! Benett fit les preuves de ses capacités en tant qu’excellent ministre de l’économie qui lutta efficacement contre les obstacles bureaucratiques (1). Pendant Tsouk Eythan , il nous sauva vraisemblablement d’un grand danger en insistant pour donner l’ordre à Tsahal de neutraliser les fameux tunnels! Ayelet, première députée laïque du parti religieux ne devint pas ministre mais montra également de quoi elle était capable en mettant au point (avec Lévine du Likoud) la future loi sur l’Etat-Nation, en luttant sans relâche pour la libération de Pollard, en faisant passer la loi sur le referendum obligatoire avant tout retrait territorial, en prenant en main le dossier des immigrants illégaux, etc…. Aux élections de 2015, malgré la perte de 4 mandats due (déjà) à la campagne SOS de Bibi, ils réussirent à obtenir les ministères de l’éducation et de la justice où ils ont à nouveau excellé (la toute récente ouverture de la faculté de médecine à l’université d’Ariel sait tout ce qu’elle doit à Benett et tout a été dit sur l’incroyable travail effectué par Shaked à la Justice).
Mais comme il était prévisible, les « religieux », enfin surtout leurs rabbins, ont progressivement retiré à Benett le droit de parler en leur nom. Sa kippa était décidemment trop petite et son attachement aux lois du choulkhan aroukh pas assez prononcé : n’a-t-il pas, ô sacrilège, soutenu le compromis concernant le Kotel? N’a-t-il pas en tant que ministre de la Diaspora, parlé en 2013 devant une assemblée de rabbins du mouvement « conservative » et appelé au dialogue. Et n’a-t-il pas, ô scandale, soutenu la candidature du Rav David Stav en tant que grand rabbin d’Israël (candidature que ces mêmes rabbins ont réussi à saboter en exigeant d’Ouri Ariel de bloquer son téléphone quelques heures afin qu’il ne vote pas pour Stav (2), grâce à quoi, les deux grands rabbins actuels du pays ne sont pas de la mouvance sioniste religieuse et je vous expliquerai une autre fois quelles en sont les conséquences)? Certains des rabbanim et non des moindres avaient alors annoncé que tant que Benett et Shaked resteraient à leur place, ils retireraient leur soutien au parti. Et puis d’abord que fait une femme ouvertement laïque a la direction du parti national religieux, je vous le demande?
Benett (et Ayelet?) ont donc pensé que le moment était venu de se libérer de la tutelle contraignante d’un parti trop officiellement étiqueté religieux et dont la seule vocation restait de maintenir en état ce qui existe. Et que ce retrait en fin de compte, serait bénéfique pour tout le monde. Ils ont cru qu’en quittant le parti qui visiblement ne partageait pas (ou plus) leur volonté de réunir sous un seul toit pratiquants, traditionnalistes et laïques, ils allaient rencontrer une large audience qu’ils ne pouvaient atteindre en y restant. Ils ont eu tort. Tant pis pour nous.
Moi non plus, je n’ai pas aimé la manière avec laquelle ils ont quitté le parti, bien que nous ne savons pas exactement qui a été prévenu, à quel moment, et ce qu’en ont vraiment pensé un Smortrich ou un Nir Orbach, par exemple. Mais le fait est que leur départ a été accueilli avec soulagement par un grand nombre de rabbanim, ceux qui avaient déserté le mouvement et ceux qui étaient restés mais qui depuis longtemps faisaient la fine bouche.
Je n’ai pas non plus apprécié certaines parties de leur campagne. En voulant ramener vers eux les jeunes tentés par Feiglin, ils ont parfois nuit à leur image de politiciens respectables. Je partage l’avis de ceux qui considèrent qu’ils furent les meilleurs ministres du gouvernement sortant. Dommage qu’ils ne l’ont pas assez souligné. J’aurais aussi mis en avant les autres candidats de la liste, notamment l’excellente Caroline Glick. Et surtout, j’aurais à leur place déclaré plus fermement qu’ils adoptent le formidable travail fourni par Ruth Gabizon et Rav Medan : la fameuse Amana, la charte traitant point par point des futures relations souhaitables entre la religion et l’état dans le respect mutuel et la volonté de renforcer l’identité juive d’Israël. Je pense (naïvement ?) que l’adoption officiel de la Amana aurait séduit un large public que le simple maintien des intérêts sectoriels ne satisfait plus.
Mais malgré ces critiques sur la forme qu’a parfois pris leur campagne, j’ai pleinement adhéré à leur démarche sur le fond. Entre les deux partis qui, suivant les dernières estimations publiées, passaient tous les deux sans difficultés le seuil d’éligibilité, j’ai donc choisi celui avec lequel je m’identifiais le mieux (pour tout dire, j’ai aussi du mal avec certains membres de la liste de l’Union de la Droite, mais bon, je me suis fait assez d’ennemis avec ce que je viens d’écrire. Pas la peine d’en rajouter)
Je souhaite bonne chance au nouveau gouvernement en général et à l’Union de la Droite en particulier. J’espère que ce parti ne redeviendra pas sans Benett et Shaked ce petit parti sectoriel qui a oublié la véritable signification du trait d’union. Qu’il ne confondra pas “volonté d’ouverture vers celui qui ne pense pas come moi“ avec “reniement des valeurs traditionnelles”. Mais j’ai peur de me tromper. Je viens de lire que Rav Raffi Perets a demandé à Shass et Yahadout Hatora d’unir leurs efforts pour exposer face au Likoud leurs communes exigences. A la tête de ces dernières, « l’annulation définitive du moratoire du Kotel ». Ça commence bien (3)…
On l’aura compris, je ne regrette pas d’avoir soutenu (4) la liste de Benett et Shaked. Mon seul regret serait plutôt de ne pas les avoir soutenus davantage. Après tout, peut être aurais-je pu convaincre les 1400 voix qui manquaient. Ceux qui ne voulaient plus d’eux au gouvernement ont bien fait de voter ailleurs. Mais je suppose qu’ils sont bien plus que 1400 ceux qui comme moi souhaitaient les voir continuer leur travail, mais qui ont choisi , pour toutes sortes de raisons, de voter ailleurs. C’est surtout ça que je regrette.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises.
(1) Pour d’autres précisions sur le bilan de ses années en tant que ministre de l’économie, jetez un coup d’œil sur Wikipédia.
(2) Rav Stav a en effet le tort d’être à la tête des rabbanim de Tsohar et d’avoir écrit un livre de Halakha qui touche à des sujets sensibles : cinéma, livres de philo, activités artistiques, sans tout condamner d’un bloc !
(3) Avant que mes amis lecteurs (ou ce qu’il en reste) ne me prennent pour un partisan du judaïsme reformé, je tiens à rappeler brièvement de quoi il s’agit. Voilà des années que les mouvements non orthodoxes demandent à pouvoir prier au Kotel selon leurs coutumes, célébrer les bar-mitsva en famille sans être obligés de séparer les hommes des femmes, etc… Les fameuses « femmes du Kotel » voudraient elles aussi qu’on les laisse mettre les tefilin ou porter un sefer thora. Ce à quoi les orthodoxes répondent qu’il s’agit là de provocation féministe et non de véritables motivation religieuse (ce en quoi ils ont probablement raison, en partie en tout cas), que tolérer cela serait profaner la sainteté du Kotel (ce en quoi ils ont tort) et porter atteinte aux sentiments des fidèles orthodoxes (bon, là, ça depend lesquels). La pression des tribunaux aidant, le gouvernement a fini par voter un compromis appelé « moratoire du Kotel » qui laisserait la totalité du Kotel actuel gérée à la manière traditionnelle en vigueur aujourd’hui mais qui aménagerait une nouvelle partie du Kotel, au nord, celle où sont en ce moment effectuées des fouilles archéologiques. Une mehitsa séparerait les deux parties pour ne pas choquer les orthodoxes. Autrement dit, il y aurait trois zones de prières : hommes, femmes et mixte. Les partis religieux ont donné leur accord tacite : il a été convenu qu’ils voteraient contre sachant que la majorité sera pour mais ils ne déclencheront pas une crise politique pour autant. Tout le monde y trouvait son compte. Apres l’adoption de l’arrangement, une des fractions haredit de Jérusalem cria à la profanation, la rue s’enflamma, les partis haredim revinrent sur leur accord tacite, Bibi céda, l’arrangement fut ajourné, les juifs américains non orthodoxes se sont sentis trahis et l’ont fait savoir, le tribunal refait pression pour que le gouvernement propose une solution, Bibi a dit qu’on reparlera de tout ça après les élections. Je considère pour ma part que le Kotel appartient à tous les juifs du monde et qu’il n’y a rien de dramatique à les laisser célébrer leur bar mitsva comme ils l’entendent tant que ça ne perturbe pas la prière traditionnelle. De toutes façons, si vraiment ce n’est que de la provoc, cette troisième zone sera déserte les 3/4 du temps
(4) J’ai soutenu mais je n’ai pas appelé à voter. Vu qu’aucun chapitre du shoulh’an aroukh ne stipule pour qui voter, je ne vois pas en quoi un rabbin, plus ou moins barbu, aurait plus d’autorité qu’un simple citoyen pour appeler à voter pour telle liste ou pour tel candidat. On a tous un cerveau et c’est pour s’en servir. Quelqu’un a écrit sur facebook qu’on devrait prendre exemple sur certains qui écoutent la consigne de leur rav avant d’aller voter. Cette démarche m’a toujours semblée curieuse…

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