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Qui sont les juifs du Ghana aujourd’hui ?

Les juifs ghanéens constituent aujourd’hui une petite population dans le paysage religieux du Ghana. La plus ancienne communauté juive connue est la Maison d’Israël, située dans la région ouest du Ghana, près de la frontière ivoirienne. Cette communauté est apparue à la fin des années 1970 après que leur fondateur Aaron Ahotre Toakyirafa a reçu une vision divine selon laquelle ses pratiques ancestrales étaient en fait juives. Les Sefwi, son groupe ethnique non indigène au Ghana, étaient tous considérés comme juifs ; cependant, seulement quelques-uns se sont convertis à la foi ancestrale et ont formé la communauté maintenant connue sous le nom de la Maison d’Israël. La plupart des juifs Sefwi font référence, à travers des récits oraux, au passé des communautés juives médiévales qui ont commercé et vécu en Afrique de l’ouest, spécifiquement au Mali. D’autres évoquent un passé plus ancien et parlent de la destruction du second Temple se référant à la tribu perdue d’Israël. Ils croient qu’en raison de migrations, de guerres et des conversions forcées, leurs ancêtres ont perdu la connaissance de leur foi. Cependant, la Maison d’Israël soutient que leurs pratiques sont en fait juives et constituent les vestiges de leur religion ancestrale. En raison de la préservation de ces pratiques, qui s’alignent sur les rites juifs et/ou de l’époque de Moïse (sans doute aussi islamiques), beaucoup refusent de se convertir pour se faire reconnaître mondialement.
Selon les histoires orales, la Maison d’Israël a émergé après la vision du fondateur, qui a conduit à un effort de prosélytisme pour que les autres Sefwi reviennent à leur religion ancestrale et nient ainsi la portée coloniale du christianisme. Les premières années de l’identité juive de la communauté se sont développées à partir de connaissances issues d’histoires orales et plus tard soutenues par l’organisation à but non lucratif américaine Kulanu qui a joué un rôle influent dans des communautés « émergentes » moins connues pour abriter des juifs. Avec cette interaction, les pratiques normatives, l’éducation hébraïque et juive, ainsi que des éléments de la culture juive ont été incorporés dans la compréhension locale de ce que signifie être juif. Les juifs du Ghana, aujourd’hui, évoluent continuellement vers leur propre compréhension de la judéité, indéniablement impactée par les Juifs de l’extérieur du Ghana et par les moyens technologiques. Cependant, les membres de la Maison d’Israël sont restés fidèles à leur histoire orale et sont réticents à se conformer aux institutions juives hégémoniques qui exigent l’exécution du judaïsme selon leurs termes. Cela a provoqué des tensions dans la région ouest du Ghana entre ceux qui sont motivés par la reconnaissance mondiale et ceux qui veulent « revenir » aux pratiques ancestrales envahies par des influences du monde extérieur.
Peut-on trouver d’autres juifs au Ghana ?
Plus récemment, des Ghanéens intéressés par les principes religieux du judaïsme ont formé une nouvelle congrégation à Accra, la capitale du pays. Pour cette raison, ils ont attiré l’attention du rabbin Alex Armah, qui est parti se former avec l’Abuyudaya de l’Ouganda et a fini par se convertir au judaïsme orthodoxe. Rabbi Armah a communiqué et travaillé avec la communauté d’Accra pour faciliter leur apprentissage de la religion. Cette nouvelle congrégation est unique aux juifs du Ghana puisqu’ils ne revendiquent pas de lignée ancestrale et de lien avec le passé judaïque. Dans l’ensemble, la communauté d’Accra s’intéresse davantage au judaïsme normatif et est ouverte aux processus de conversion.
Que nous disent vos recherches sur la construction historique de cette identité juive ?
La construction historique de l’identité juive au Ghana doit tenir compte de la portée géographique et temporelle exhaustive de l’héritage et de l’histoire du judaïsme en Afrique de l’ouest. Premièrement, la durée de la présence juive en Afrique de l’ouest doit être contextualisée. L’histoire des religions indigènes et des idéologies cosmologiques ainsi que le rôle des deux autres religions abrahamiques (l’islam et le christianisme) a fait principalement l’objet de l’attention des érudits africanistes intéressés par la religion, alors que l’histoire du judaïsme a été oubliée par le discours scientifique. Les histoires traitant du judaïsme se concentrent en grande partie sur l’Afrique du Nord, et isolent souvent son histoire comme quelque chose de distinct du reste de l’Afrique, au sud du Sahara. Les histoires de Juifs qui ont émigré en Afrique après la Seconde Guerre mondiale, s’installant en grande partie dans les pays d’Afrique australe, ont également fait l’objet de nombreuses études.
Cependant, il convient de noter que la plupart de ces histoires sont écrites par des historiens juifs, et les africanistes ne se sont pas encore investis dans l’étude de l’impact du judaïsme que ce soit religieusement, culturellement, socialement et économiquement sur le continent. D’après ce qui a été écrit des juifs médiévaux et du début de l’ère moderne opérant dans et autour du Sahara, sous et au sein de la domination islamique, on peut estimer que les Juifs étaient érudits et résilients. Leur alphabétisation, leurs réseaux et leur sens aigu des affaires ont contribué au succès du commerce saharien, à tel point qu’on peut dire qu’ils ont été ostracisés et persécutés, menant à l’interdiction des juifs dans la région de Tombouctou au début du 16ème siècle. Après des siècles de persécution et de vie minoritaire au sud du Sahara, on pense que beaucoup ont été tués, ont choisi de se convertir à l’islam ou ont fui vers le milieu du 16ème siècle. Les scientifiques peuvent cependant convenir que les sources se taisent en Afrique de l’ouest et que les Juifs n’étaient plus présents dans l’intérieur de l’Afrique de l’ouest (certains suggèrent qu’ils n’ont jamais habité la région mais se livraient simplement au commerce) avec seulement une légère hausse d’activité au 19ème siècle. C’est ainsi que la Maison d’Israël (Ghana) offre une explication qui situe leurs ancêtres au Mali et expliquent leur existence par les récits de guerre et de violence qui les ont fait fuir au sud du Mali. Ainsi, pour débattre de la construction historique de l’identité juive au Ghana, les chercheurs doivent étudier ces histoires orales qui connectent des espaces géographiques où il y avait autrefois une présence juive.
Deuxièmement, la recherche doit continuer à s’intéresser à la période coloniale et expliquer comment la logique des Européens et des agents coloniaux a pu infiltrer et influencer la compréhension locale des pratiques religieuses. Ainsi, de nombreuses ethnographies coloniales détaillent les pratiques des groupes africains rencontrés et assimilent souvent ce qu’elles observent aux rites hébraïques (restrictions alimentaires, repos le jour du sabbat, rituels de naissance tels que la circoncision et la dénomination, ainsi que les règles d’hygiène concernant les menstruations, la mort et les maladies). Se pourrait-il que ces explications venues du monde européen aient fourni un contexte pour comprendre le passé africain et aient fini par être incorporées dans les récits oraux ? Ou, le judaïsme pourrait-il simplement être un moyen de rejeter l’idéologie chrétienne qui allait souvent de pair avec la domination coloniale ?
De plus, les Juifs qui s’étaient convertis grâce à l’Inquisition connus à la fois comme « Nouveaux Chrétiens », conversos, ou de manière péjorative « marranes », se sont installés le long des côtes africaines au profit de l’empire colonial portugais. Les archives et les vestiges archéologiques du 17ème siècle fournissent des documents sur ces Juifs convertis pratiquant encore des rituels juifs dans ces espaces côtiers. Ainsi, de nouvelles questions se posent quant à l’interaction entre les populations côtières et celles de l’arrière-pays à une époque où le commerce mondial intensifiait l’extraction du travail et des ressources de l’intérieur vers la côte.
La mémoire du judaïsme est-elle toujours aussi importante ?
La mémoire fait partie intégrante de ce projet, car c’est la mémoire d’un passé qui renforce la revendication des juifs ghanéens de la Maison d’Israël. Pour cette communauté, la mémoire opère dans trois sphères : la mémoire collective via l’histoire orale, les sites physiques et les pratiques/rituels quotidiens. Comme de nombreuses communautés en Afrique, les Sefwi, qui font partie de la Maison d’Israël, ont gardé leur histoire oralement. Il y a des historiens (formés pour préserver l’histoire) tout comme il y en a en Occident, qui rappellent et à racontent le passé avec leur voix plutôt qu’avec un stylo. Grâce à cette méthodologie, raconter l’histoire des anciens dirigeants du Sefwi, des événements historiques et des migrations est possible. Deuxièmement, les lieux des mémoires (via le paysage et l’architecture) sont les marqueurs physiques à l’origine des histoires orales. Par exemple, une maison pour l’isolation des femmes en période de menstrues rappelle les pratiques d’hygiène pratiquées avant l’admissi
n du judaïsme. Enfin, les habitudes quotidiennes servent de moyen mnémotechnique pour rappeler une période antérieure à l’interruption coloniale et missionnaire. En fait, il s’agit d’une mémoire performative : le maintien des rituels ancestraux par le fondateur de la Maison d’Israël conduit une certaine vision de la pratique du judaïsme. Aujourd’hui, les rites ancestraux ainsi que les pratiques enseignées par les visiteurs juifs internationaux restent primordiaux pour l’affirmation d’une identité juive au Ghana.
Vincent Hiribarren, maître de conférences à King’s College London

 

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