Les réactions souvent épidermiques et parfois hystériques à la loi fondamentale sur l’état-nation ont été, pour reprendre une expression chère à la diplomatie française… disproportionnées. C’est même le moins que l’on puisse en dire. Cette disproportion demande quelques réflexions, rappels et mises au point. Histoire de recadrer la discussion et de calmer un peu les échanges.
1. L’état d’Israël ne possède pas encore de Constitution, ce qui, pour un état démocratique comme le nôtre, est pour le moins gênant.
2. Devant la difficulté à rédiger une Constitution, le député Izhar Harrari lance dès 1950 une proposition géniale : la Knesset votera des « lois fondamentales » au fur et à mesure que le permettront les circonstances. Mises bout à bout, ces lois formeront finalement, un jour, la constitution de l’état.
3. Depuis, une douzaine de lois fondamentales ont ainsi été votées par la Knesset. Elles portent soit sur le fonctionnement des différentes institutions, soit sur les droits fondamentaux. Exemples : la Knesset, le Président de l’état, le Gouvernement, l’Armée, La Dignité de l’Homme et sa Liberté, la Liberté d’entreprendre…
4. La Knesset ne peut voter une loi qui contredirait l’une de ces lois fondamentales. C’est la Cour Suprême qui détermine en dernier lieu, si telle loi votée à la Knesset est anticonstitutionnelle, c’est-à-dire contraire aux lois fondamentales et doit donc être annulée
5. Comme leur nom l’indique, ces lois touchent aux fondements même de l’état. Il est donc naturel qu’elles énoncent des vérités premières et évidentes. Ainsi, par exemple, les 3 premiers articles de la loi fondamentale sur la Knesset sont : 1) la Knesset est le parlement de l’état 2) Le siège de la Knesset est à Jérusalem 3) Ses membres sont au nombre de 120. Reprocher à la loi sur l’état nation d’être inutile puisqu’elle énonce des évidences, relève donc soit de la mauvaise foi, soit d’une totale méconnaissance de la notion de loi fondamentale.
6. La Constitution d’Israël devrait etre bientôt achevée. Il était hors de question pour le gouvernement, comme pour l’immense majorité des israéliens, qu’elle ne comprenne pas un article-loi affirmant le caractère juif de l’état. Lequel ne figure dans aucune des autres lois fondamentales déjà votées puisque ce n’était pas le sujet. Cela aurait dû être une évidence aussi pour les membres de l’opposition, en tout cas pour les sionistes d’entre eux. Curieux donc que certains remettent en cause jusqu’à sa nécessité.
7. Ceux que par contre, je comprends parfaitement, ce sont ceux, juifs ou non, qui sont contre l’idée de l’état nation. Pour eux, l’état doit être celui de tous ses habitants. Ni plus juif qu’arabe, ni plus arabe que juif. A terme, ceux qui pensent ainsi et sont cohérents devront changer le drapeau, l’hymne ou les autres symboles de l’état auxquels les non juifs ne peuvent pleinement s’identifier. On en discute déjà dans certains milieux universitaires ou médiatiques. Et bien sûr, à terme, abolir la loi du Retour.
8. Les autres, ceux qui tiennent à l’état juif, doivent comprendre que le caractère juif de l’état n’est pas acquis une fois pour toutes. On a déjà vu des états nationaux, et même de vieilles nations, perdre petit à petit le caractère national de leur état. Lorsqu’ils s’en rendirent compte, il était trop tard pour voter une loi fondamentale qui dès lors, n’aurait plus servi à rien.
9. Prenons un exemple que nous connaissons bien : « La France n’est plus exactement une nation. Un pays. Elle n’est plus qu’un lieu. Un endroit. La France est devenue un lieu géographique au sein duquel les « Français » (qui sont les occupants biologiques, physiologiques de ce lieu géographique, de cet emplacement géodésique) se côtoient, se bousculent, s’ignorent. Ce qu’on appelle la France n’est plus, ne semble plus être qu’une grappe géante d’entités regroupées là, en fonction d’intérêts tantôt convergents, tantôt divergents. Pas le moindre sentiment national : cela serait immédiatement vu, cela serait instantanément perçu comme du nationalisme. Il arrive parfois que la victoire d’une équipe de foot française sur une équipe de foot étrangère déclenche, pour quelques heures, une manière d’engouement qui pourrait faire penser à de la fierté. Mais le sport favori des Français n’est pas le football… c’est de pointer du doigt ceux qui voudraient l’aimer, lui trouver des qualités, les accusant aussitôt d’être proches des extrêmes, d’être les voisins, en idéologie, des partis politiques dont la haine est le principal moteur. » (Yann Moix)
10. Nous n’en sommes pas encore là. Mais prenez la loi du Retour, par exemple. N’est-elle pas discriminatoire ? Pourquoi Levy de Sarcelles pourrait-il acquérir en quelques minutes la nationalité israélienne et pas son voisin Durand? Pour l’instant la Cour Suprême défend la légitimité de la loi du Retour. Le juge Haim Cohen tentait dans un savant exercice de pilpoul talmudique d’expliquer la différence entre une loi « différenciative » et une loi « discriminatoire »…. Mais sommes-nous surs que dans 10 ans, les juges penseront encore comme lui ?
11. La loi sur l’état nation comprend 11 paragraphes très courts et se lit en 3 minutes et 45 secondes en moyenne. 5 minutes pour ceux qui ont encore du mal à lire sans les voyelles. Ce qui devrait suffire pour faire de sa lecture intégrale une condition préalable pour tous ceux qui voudraient donner leur avis, en la louant ou en la critiquant. Force est de constater que cette condition n’a pas été respectée par beaucoup. L’un des promoteurs de la loi, Avi Dichter, racontait récemment qu’un des chefs les plus importants de la communauté juive américaine l’a appelé affolé suppliant de lui faire un résumé de cette loi qui rencontrait tant d’opposition virulente aux Etats-Unis, même chez certains pro-Bibi convaincus. L’israélien lui lit le texte au téléphone. « Good digest », lui dit l’américain mais envoie moi le texte intégral, ajouta-t-il, soupçonneux. Mais c’est le texte intégral que je viens de te lire, lui répondit l’israélien. L’américain n’en croyait pas ses oreilles…. Combien d’adversaires acharnés de la loi l’ont vraiment lue en entier?
12. Chez ceux qui ont lu la loi et continuent à s’y opposer, il y a deux catégories : ceux qui lui reprochent ce qu’elle dit et ceux qui lui reprochent ce qu’elle ne dit pas.
13. Parmi ceux qui lui reprochent ce qu’elle dit, il y a deux catégories : ceux qui s’énervent à cause de l’article 4 et ceux qui s’énervent à cause de l’article 7.
14. L’article 4 stipule que seule l’ivrit est la langue officielle d’Israël. Bon, perso, ça ne m’aurait pas dérangé plus que ça qu’il y ait 2 langues officielles: le yiddish et le ladino. Non, je plaisante : l’hébreu et l’arabe. Mais enfin, les pays qui ont une forte minorité de citoyens dont la langue maternelle n’est pas celle de la majorité, sont-ils tenus de décréter que la langue minoritaire est aussi une langue officielle? Le turc est-il une langue officielle en Allemagne? L’arabe en France? Le hindi en Angleterre? Est-ce que, pour autant la France, l’Angleterre ou l’Allemagne sont des pays racistes à régime d’apartheid ou discriminatoire? D’autant que dans le même article 4, il est stipulé, je cite : « Il n’y a rien dans ce texte qui puisse porter atteinte au statut dont jouissait dans la pratique la langue arabe avant la promulgation de cette loi ». Autrement dit, les panneaux indicateurs sur nos routes resteront écrits en arabe (et en anglais ?), les formulaires administratifs continueront à être rédigés dans les 2 langues, etc… Donc la proclamation de l’ivrit comme langue officielle n’a qu’un effet déclaratif. C’est écrit noir sur blanc. Ben oui, mais moi je l’avais pas lu. Ben oui mais c’est justement ce qu’on te reproche (voir plus haut paragraphe 7). On se calme.
15. L’article 7 tient en une phrase: « L’état considère que le développement de la présence juive (« hityashvout » en hébreu, peut-être faut-il traduire: « points de peuplement ») comme une valeur nationale et agira pour l’encourager ». Scandale ! L’état juif considère donc comme une priorité nationale le fait de favoriser l’installation de localités juives en Israël ! C’est le paragraphe autour duquel on a passé le plus de temps avant d’arriver à cette version très édulcorée qui n’est rien d’autre que le cœur même de l’épopée sioniste! Certains ont cru lire que le texte sonnait le glas du développement des agglomérations arabes. Que si demain la municipalité d’Umm el Fahm demandait de rajouter des maisons à la ville, on le lui refusera à cause de cette loi…. Ben non, faut relire lentement. Ce n’est pas parce qu’on trouve légitime de favoriser la hityashvout juive qu’on va stopper celle des autres. Et si on arrêtait un moment d’être hypocrites, on reconnaitrait qu’il s’agit-là simplement de donner une garantie juridique à la situation actuelle : si dans les grandes villes, juifs et arabes doivent pouvoir cohabiter dans le respect mutuel, il y a toujours eu de villages exclusivement juifs et des villages exclusivement arabes. Ce n’est peut-être pas politiquement très correct mais ça arrange tout le monde, les juifs comme les arabes. Ceux qui à longueur de journée nous expliquent que la solution du conflit passe par la rigoureuse séparation des deux peuples, devraient être les premiers à le comprendre. Or, en 2000, la cour suprême a obligé le village juif de Katsir à accueillir la famille Kaeden de Baaka el Garbiyé au nom de l’égalité. Le paragraphe 7 essaie de revenir a la situation antérieure au verdict Kaeden. La loi signifie aussi que si demain, l’état considère comme une priorité nationale que la Galilée ou le Néguev soit à majorité juive, afin par exemple d’éviter qu’un jour une majorité d’arabes ne réclament l’autonomie de ces régions, il a le droit de donner des avantages fiscaux à ceux qui voudraient quitter Tel-Aviv ou Ramat Gan pour s’y installer. Il me semble bien que c’est dans ce but que le KKL fut créé et que les Juifs du monde entier continuent de mettre des petites pièces dans les troncs bleus et blancs, non ? Calmons-nous, vous dis-je, calmons-nous..
16. Ceux qui reprochent à la loi ce qu’elle ne dit pas voudraient, comme Benny Begin, qu’y figure le mot « égalité » et que ce n’est pas un hasard s’il n’y figure pas. En effet, ce n’est pas un hasard et il y a même 2 bonnes raisons pour cela. La première, c’est que cette loi parle du caractère juif de l’état. L’Egalité de tous ses citoyens est garantie par d’autres lois fondamentales (c’est sur la base de l’une d’entre elles par exemple, que la Justice a obligé Tsahal à incorporer des filles dans ses unités de parachutistes). Ces lois, elles, ne mentionnent nullement le caractère juif de l’état. Ce n’est pas un hasard non plus : ce n’est pas leur sujet. Je rappelle que la Constitution sera composée de toutes les lois fondamentales et il est donc parfaitement inutile que les lois qui garantissent l’égalité des citoyens rappellent qu’il s’agit d’un état juif, comme il est inutile que la loi qui garantit le caractère juif de l’état rappelle l’égalité des citoyens. L’autre raison c’est que si le mot égalité figurait dans cette loi, il lui aurait ôté tout son sens. Un état-nation peut garantir l’égalité des droits civiques de tous ses citoyens mais, par définition, il ne garantit les droits nationaux qu’à ceux de ses citoyens qui appartiennent à cette nation. Ainsi un druze, meme s’il a fait courageusement l’armee, ne peut réclamer de changer l’hymne nationale qui parle de l’espérance juive uniquement au nom de l’égalité, puisque l’état d’Israël est l’état de la nation juive
17. Que disent les 9 autres articles de cette loi? Qu’Erets Israël est la patrie historique du peuple juif et que c’est là que celui-ci concrétise son droit naturel à l’autodétermination (article 1) , que l’état juif a pour nom Israël, que son drapeau est bleu et blanc avec une étoile de David en son centre, que son hymne est l’Hatikva, que son symbole est une Menora a 7 branches entourée de rameaux d’olivier (article 2), que sa capitale est Jérusalem (article 3), qu’Israël est ouvert à la Alya et au rassemblement des exilés (article 5), qu’il se sent responsable de la sécurité de tous les juifs persécutés dans le monde ainsi que de tous les citoyens israéliens (juifs ou non), en détresse à l’étranger, qu’il compte œuvrer pour maintenir la tradition culturelle, historique et religieuses des communautés de Diaspora (article 6), que les calendriers juif et non juif sont les 2 calendriers officiels du pays (article 8), que Yom Haatsmaout est jour de fête nationale et que Yom Hashoa et Yom Hazikaron sont les jours du souvenir (article 9), que le Chabbat et les fêtes juives sont des jours fériés mais que les non juifs peuvent choisir leurs jours de repos en fonction de leurs solennités (article 10) et qu’il faudra une majorité de députés pour modifier cette loi (article 11). Un ancien premier ministre que je ne nommerais pas (pour ne pas dire du mal d’Ehoud Barak) a écrit sur sa page facebook: » Cette loi prépare le terrain a une législation de lois raciales, d’apartheid et de transfert » . On se calme, oui?
18. Qu’en réaction à cette loi, Erdogan traite Israël d’état-nazi, qu’Ahmed Tibi et ses copains la déchirent à la Knesset en criant devant les caméras « apartheid », que les médias européens crient au racisme, on s’y attendait. Et pour dire vrai, on s’en fout un peu. Mais l’opposition sioniste au gouvernement a été tout sauf responsable. Car, ami lecteur de gauche, même si vous n’avez pas été convaincus par les 17 précédents paragraphes du bien-fondé de cette loi, même si vous continuez à penser qu’on aurait dû rajouter tel mot ou ôter tel autre, même si vous pensez que cette loi est superflue mais que, comme juif et comme sioniste, vous n’avez dans le fond rien à redire sur les articles 1,2,3,5,6,8,9,10 et 11 qui vous paraissent ma foi fort respectables, vous auriez dû modérer le ton de votre critique et vos représentants auraient dû s’abstenir lors du vote à la Knesset en expliquant calmement les points de divergences (d’ailleurs certains d’entre eux , de Kadima za »l ou des travaillistes , qui avaient naguère proposé un texte très similaire, le trouvent curieusement aujourd’hui diabolique!) C’est ce qu’on aurait appelé une opposition responsable (électoralement parlant, vous en auriez d’ailleurs profité mais de ce côté-là, vous ne ratez jamais une occasion de renforcer la droite au pouvoir. Tant mieux pour elle). Vous devriez savoir qu’en hurlant avec les loups, en criant sur tous les toits que la démocratie est en danger, que nos frères druzes vont être discriminés, que les pères du sionisme se retournent dans leur tombe, que ce gouvernement est fasciste et que le fascisme ne passera pas, vous servez d’alibi, d’idiots utiles à tous les BDS de la planète. Les juifs libéraux américains qui pour la plupart n’ont pas lu le texte, se disent que si un Ehoud Barak parle d’apartheid, c’est bien que ce gouvernement a perdu la tête ! Si vraiment cela avait été le cas, il aurait fallu bien sur le dire haut et fort, quelles que soient les retombées catastrophiques sur l’image du pays. Mais, franchement, la main sur le cœur et les yeux sur le texte : il est raciste ce texte?
19. Et si on se calmait?
Arrêtez-moi si je dis des bêtises!