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L’expansion du judaïsme africain.

Les historiens arabes signalent, à l’époque de l’invasion arabe, la présence en Afrique de tribus berbères professant lareligion juive. Voici comment M. Monceaux, le savant historien de l’Afrique chrétienne , explique ce fait : « Les persécutions de Justinien avaient une conséquence imprévue; elles avaient contribué à l’expansion du judaïsme africain. Traqués dans les pays romains ou même expulsés, beaucoup de Juifs s’étaient réfugiés chez les Berbères des massifs montagneux ou du désert, et là ils avaient repris leur propagande, si bien qu’à l’arrivée des Arabes, nombre de tribus berbères étaient plus ou moins gagnées au judaïsme, surtout Sahara (1). en » Tripolitaine, dans l’Aurès et dans les ksours du
Ibn-Khaldoun , le grand historien des Berbères, auquel nous devons la connaissance de ce fait, méconnu des historiens juifs, précise la distribution géographique et le caractère de
ces tribus judéo-berbères, de la façon suivante : En Ifriqia, dit-il (c’est-à-dire dans l’Afrique Proconsul) Revue des Eludes juives , t. XLIV, p. 22.
Ce furent les Nefoussa, la branche aînée des Louata, les Lybiens de l’antiquité, qui professaient le judaïsme. Tlemcen, Dans l’Oranie ce furent acuelle, les Mediouna. et particulièrement dans la région Dans le Maghreb el-Akça, le judaïsme comptait parmi ses
adhérents les tribus suivantes : les Behloula, les Rhiata, les Fazaz et les Fendeloua(1). Ces renseignements semblent être confirmés par les textesconcordants du Roudh el-Kartas et d’El-Bekri, qui traitent de l’existence vers la fin du au vinc Maroc siècle. des populations juives indépendantes. Cependant, parmi toutes ces tribus ayant professé le judaïsme, Ibn-Khaldoun réserve une place à part aux Djeraoua; cette population, selon lui, formait une grande nation composée de nombreuses tribus qui continuaient à habiter l’Ifrikia
et le Maghreb dans une indépendance presque absolue. . . « Longtemps avant la première apparition de l’Islam en Afrique, nous dit l’historien des Berbères, les Djeraoua se distinguèrent par leur puissance et par le nombre de leurs guerriers. Ils témoignèrent aux Francs établis dans les villes une soumission apparente, et pour rester maîtres du pays ouvert ils prêtèrent, ceux-ci » l’appui de leurs armes lors de chaque réquisition
Et pour accentuer davantage le rôle prédominant de ce peuple mystérieux, Ibn-Khaldoun affirme ailleurs «que ce furent toutes les les tribus Djeraoua berbères qui fournissaient de la branche des des dynasties Branés royales ».  Dans l’histoire des luttes des Africains contre les Arabes. Histoire des Berbères, trad. de Slane, t. II, p. 483 et suiv. — (9) Ibid. , t. III,p. 192.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 483
Djeraoua figurent en tête de la résistance acharnée opposée par les Berbères aux Asiatiques. Ces luttes sont illustrées par l’épopée de la Cahena, la Jeanne d’Arc du Folklore africain, qui est un Fournel(1), personnage dont héroïque; l’autorité en son la historicité matière fait a loi. étédémontrée D’ailleurs, Jbn- Khaldoun, qui sait faire remonter les ancêtres de la Cahena jusqu’à huit générations en arrière, nous précise par cela
même la date, sinon de la fondation du peuple même des Djeraoua, du moins celle de la formation de la dynastie qui devait lui imposer son nom. Le nom du fondateur, à moins qu’il ne figure dans la liste d’Ibn-Khaldoun comme un éponyme, est
écrit par l’historien arabe de la façon suivante : Guera. Or iln’est pas besoin de posséder des connaissances approfondies de l’arabe pour admettre qu’il s’agit du nom ethnique des Djeraoua, en tenant compte de l’adoucissement de la lettre a en
Dj, sous l’influence de l’arabe. L’origine du nom de Djeraoua
serait Ce par Guera conséquent aurait donc antérieure vécu environ à l’Islam. deux siècles avant la Cahena, c’est-à-dire vers le Ve siècle, en pleine domination van¬
dale. Le fait que l’Aurès s’était déclaré indépendant en 48i(2′
nous permet de placer vers cette époque la constitution pre¬
mière des Djeraoua, peuple dont les origines se perdent dans
les ténèbres qui entourent la disparition des guerriers juifs de
la Cyrénaïque, après la révolte de ??5-??8(3). Les Djeraoua
étaient-ils un peuple d’origine purement juive, ou bien une
agglomération de judaïsants, à l’instar de ceux que les Pères
de l’Église africaine nous signalent maintes fois Professaientils
le judaïsme traditionnel, ou bien un monothéisme primitif?
Cette dernière hypothèse semblerait ressortir de la description que les historiens arabes nous donnent des mœurs de ce peuple semi-nomade et, comme on pourrait le conclure aussi, du terme même de Cahena (prêtresse), titre peu juif, à moins
de’une supposer prêtresse. qu’il s’agisse de la fille d’un prêtre, ce problème nous a préoccupé dans nos recherches sur les origines des Juifs au Maroc; son élucidation s’impose impérieusement à celui qui entreprendrait d’écrire une histoire du
judaïsme et des Juifs de l’Afrique. En présence du silence sur l’existence des Juifs berbères en Afrique, gardé par les sources juives ou rabbiniques, on serait amené à admettre qu’il s’agirait là de populations juives non orthodoxes , dans lesquelles les rabbins se refusaient à voir des Juifs, envisagés au sens talmudique du mot. En procédant à une révision des rares textes rabbiniques qui peuvent avoir trait à ce fait, nous nous sommes convaincu qu’en réalité l’existence de populations juives indépendantes et primitives,
en Afrique, ne devait pas être ignorée des auteurs rabbiniques. Déjà au ive siècle, un docteur du Talmud affirme que les dix tribus disparues d’Israël se trouveraient reléguées en Afrique (1). Or, dans cette catégorie des dix tribus, il faut comprendre les Juifs indépendants et non soumis à l’autorité de la Synagogue. Un autre passage émanant de Rab, docteur du 11e siècle, et qui a trait au judaïsme orthodoxe, par opposition aux éléments dissidents, signale Garthage la Romaine comme le foyer de la
hellénisés Synagogue ou à l’exclusion berbères se de trouveraient l’Afrique orientale, ainsi en dont dehors les de Juifs la Rabba, W Talmud V, de etc. Babyl. , traité Sanhédrin, f. 94″; Mechilta, Bô, chap. 17; Deateron.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 485
Synagogue rabbinique Quant à l’existence des communautés juives sur tous les points de la Maurétanie africaine, elle est signalée par saint Jérôme et confirmée par de nom¬
breuses loin. données, épigraphiques et historiques. Laissons de côté les renseignements problématiques fournis par Eldad le Danite, le Marco Polo juif du ixe siècle, dont la
réhabilitation est encore à faire , ainsi que d’autres textes ayant trait à l’existence d’un « pays juif » en Afrique Arrivons à l’époque rabbinique, qui s’ouvre en Afrique avec la fondation de la célèbre école de Kairouan au xe siècle. A cette époque, les Caraïtes — ces antagonistes du Talmud, qui sont euxmêmes entrent en un scène, produit, à titre il est de secte vrai distincte. négatif, du rabbinisme — L’importance réelle prise par cette secte, qui possède dès ses débuts sa littérature, est telle que jusqu’à nos jours les historiens juifs continuent souvent à considérer comme caraïtes tous les groupements dissidents, sans distinction. En fait , ces derniers, en Afrique comme en Asie, sur le bassin de la mer Noire comme au Sahara, n’étaient que des Juifs primitifs, le caraïsme n’ayant son antithèse5′. jamais connu le Talmud. En réalité, il faudrait se garder de confondre les Proto-Juifs,
ou descendants des Juifs ayant quitté la Palestine avant la rétendent plique ghreb; t. p. et Menahot, (1) I,1 le 5; Les passage p. cf. à Bâcher, que une 298; f. notre commentateurs 110°. tribu la du Epstein, Etade Die Soura Talmud pareille Aggada précitée, VII, Eldad due , située der ?. Babyl. Coran ???, p. Tanaiten, Ha-dani, au 29-30, s’ap¬ pré¬ , Matr.
Epistoïa 122, 4 , ad Dardanum.
(3) Voir notre Etude précitée, 1. II,
chap. ix.
(4) Graetz, Geschichte der Juden, t. V,
p. 298 et suiv. ; notre Etude précitée,
passim. (5) Cf. notre étude : Hébréo-Phéniciens
et J adéo-Berbères (Arcli. marocaines , t. XIV).
486 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
daction du Talmud, avec les Caraïtes dont l’origine est la même que celle de tous les Juifs de la Diaspora. Pour ce qui concerne l’Afrique, nous possédons des textes
rabbiniques qui nous parlent nettement des populations juives
primitives, ou des Judéo-Berbères. Une lettre attribuée à Maïmonide et en tout cas fort ancienne parle des gens qui habitent Djerba et le Djebel Neloussa, soit tout le pays s’étendant au delà de Tunis et jusqu’à Alexandrie. vants : Elle s’exprime à cet égard dans les termes : « Bien qu’ils soient très attachés à la croyance de Dieu , ils ont les mêmes superstitions et les mêmes pratiques que les Berbères musulmans. Ainsi, ils détournent leurs regards de la femme impure et n’arrêtent leur vue, ni sur sa taille, ni sur
ses habits; ils ne lui adressent point la parole, et ils se font scrupule de fouler le sol que son pied a touché. De même, ils ne mangent Bref ils ne pas sont le quartier ni Caraïtes de ni derrière Orthodoxes. des animaux » abattus, etc. Abraham Ibn-Ezra, dans son commentaire sur l’Exode, signale les hérétiques d’Ouargla qui font un pèlerinage en pas¬
sant de l’Exode. la journée de Pâques dans le désert, en commémoration Abraham Ibn-Daoud, dans sa chronique, semble confirmer l’existence en Afrique comme en Espagne des hérétiques. «l’Exode : Les commentaire, du ces désert hérétiques mois édit. égarés de à de de l’instar l’Egypte quittent Berlin. Nisan, chap. d’Ouargla des de pour tous xii, Is¬la
raélites sous Moïse. » Cet usage est propre aux hérétiques du Sahara , qui persistèrent
dans leur hérésie jusqu’au xvie siècle (cf. le Youhassin , ed. Philippovski , p. 2i5; le recueil Bikourei Ha-Itim, i832,p. 35; etc.).
MEMOIRES PRESENTES PAR DIVERS SAVANTS. 487
ignorants ayant fini — mais de son temps seulement — par
se rapprocher des Caraïtes. Enfin, la persistance en Abyssinie des Phalachas, tribu mosaïste primitive, industrielle et guerrière, qui a continué à lutter pour son indépendance jusquen plein xvn° siècle , comme le savant M. Halévy vient de le démontrer d’une façon décisive n’est-elle pas de nature à faire réfléchir sur l’analogie que
présente cette population, composée d’exilés, avec les Djeraoua et les autres tribus de l’Afrique ? M. Halévy, en effet, a fait ressortir que les Phalachas sont demeurés fidèles à l’institution des Nézirim (ascètes, moines), comme aux prescriptions concer¬
nant les sacrifices, l’impureté, etc., prescriptions mosaïques que le Talmud avait abolies.
Il serait aisé de multiplier les exemples et les textes qui, tous, tendent à démontrer que les affirmations d’Ibn-Khaldoun ne sont pas aussi isolées , aussi surprenantes qu’on le croirait de prime abord; si bien que, déjà a priori , on pourrait admettre l’hypothèse de la présence en Afrique, et sur une vaste échelle, de populations juives primitives. Combien cette opinion aurait gagné de terrain , si l’archéologie et l’épigraphie , ces deux témoins irréfutables du passé, venaient à leur tour lui apporter leur appui ! L’admirable découverte de la nécropole juive de Gamart que nous devons aux efforts du Père Delattre, la persistance en Afrique de traditions, de cultes et de groupes ethniques ayant des sanctuaires d’origine juive antérieurs à l’Islam, m’ont amené à entreprendre un voyage d’études à travers l’Afrique du Nord, afin de me livrer à une enquête sur place
Soc. de Revue SAV. Ge’ogr. ETRANG. sémitique de Paris – , XII, , 1907, mars 2E PARTIE. avril, 1. II; 1869). cf. Idem., Excursion chez les Phalachas IMPRIMERIE (Bull, 62 NATIONALE.
488 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
partout où des populations juives primitives ont été signalées par les historiens arabes. Cette expédition a pu être organisée sous les auspices de la Mission scientifique du Maroc, grâce à la bienveillante initiative de son délégué, M. Le Chatelier. Orienté vers l’étude des problèmes musulmans et africains par ce profond connaisseur de l’Orient, j’ai pu publier dans les Archives marocaines un exposé de premier jet des idées que j’étais
appelé à aller contrôler sur place. Mon éminent maître, M. Philippe Berger, m’avait muni non seulement de ses précieux conseils, mais encore de lettres d’introduction auprès des
savants et des autorités françaises, pour faciliter la tâche que je m’étais proposée. L’Alliance israélite universelle, fidèle à ses traditions, n’a pas laissé de son côté de contribuer au succès de mon voyage. Je quittai Paris le 10 juillet 1906 pour me rendre directement à Tripoli. Le Gouverneur général de la Tripolitaine S. E. Redjeb Pacha, en signe de particulière bienveillance, m’autorisa à faire un voyage à travers le Djebel Nefoussa et dans l’intérieur de la Tripolitaine, région rigoureusement interdite aux Européens , depuis plusieurs années surtout; si bien que j’ai pu visiter les oasis de la côte, le Djebel Gharian, le Djebel Iffren, une partie du Djebel Nefoussa et de la Cyrénaïque. Après avoir étudié des groupements juifs de la Tripolitaine, je Kef, me où suis des rendu doars à Djerba, de Juifs île nomades riche en subsistent traditions juives, encore, au à
Khenchela et dans la région des anciens Djeraoua, à Nedroma et dans la région des Mediouna. L’insuffisance des moyens, le peu de temps dont je dispo¬
sais et une cruelle maladie qui m’a retenu à Tanger, m’avaient
j \empêché de poursuivre mon enquête dans le Riif.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 489
autres régions du Maroc, où des réminiscences judéo-berbères subsistent encore. Néanmoins, j’ai réussi à réunir, pendant les quatre mois et demi qu’a duré mon voyage, un certain nombre de documents a. Traditions et de données locales touchant et survivances les points se suivants® rattachant : aux origines anté-islamiques des Juifs de l’Afrique.
b. Mœurs et usages propres aux Juifs africains et qui les distinguent du reste du judaïsme, notamment des Juifs espagnols et italiens , dont l’arrivée par masses en Afrique ne précède pas la fin du xiv6 siècle.
c. Observations linguistiques et philologiques.
d. Documents épigraphiques et monuments archéologiques.
Avant d’exposer les résultats de mes recherches, je me permettrai de faire valoir au préalable les réflexions suivantes, non sans utilité pour les thèses qui sont défendues ici.
LES JUIFS AFRICAINS.
Il faut bien se garder de considérer les Juifs africains comme formant un seul bloc, une entité ethnique ou linguistique homogène.
Ceux de l’Afrique du Nord proviennent de deux origines forment distinctes. certainement Si les uns une y sont race venus relativement de l’Europe, autochtone. les autres Les
premiers sont presque toujours d’origine espagnole dans le raître hébreu Unknown (1)a) Malheureusement Sa en ( Ha-Olam partie Jewish anglais, anecdotique Africa , sous 1907, et lele partiellement etc.). titre vient de qui de A cross s’est pas en déclaré dans mon hôtel à Tanger, pendant que j’étais à l’hôpital, en a détruitune partie, ainsi que le journal de mon
voyage. C’est là une perte que je ne saurais assez déplorer. 62 .
490 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
nord de l’Algérie et du Maroc , d’origine italienne à ? unis et sur quelques autres points du littoral tunisien. Ceux-ci parlent un idiome européen , et font remonter leurs origines à l’Espagneou à l’Italie; ils ne diffèrent pas sensiblement de leurs coreligionnaires de la Méditerranée européenne. Quant aux groupes des Juifs indigènes, ils se subdivisent à
leur tour en :
i° Judéo-Arabes, Juifs de race et Arabes de mœurs, qui forment la totalité de la population urbaine des grands centres barbaresques éloignés du littoral. C’est le cas des Juifs de Marrakech, du Maroc du Sud, de ceux de la plupart des villes algériennes et tunisiennes, et partiellement aussi des Juifs tripolitains. A plusieurs reprises , ces Judéo-Arabes ont été mélangés d’éléments venus d’Asie ou d’Europe. Néanmoins, comme l’indiquent leur type, leurs noms, leurs usages, leurs mœurs et leurs traditions, le noyau primitif des Judéo-Arabes a été constitué par des Juifs autochtones. Certains d’entre eux qui à un moment donné, — comme c’est le cas pour Tunis, pour Marrakech et pour Tlemcen, — ont reçu des colonies européennes importantes, même ceux-là ont gardé leur caractère africain,  grâce à la poussée des Judéo-Berbères venus de l’intérieur. Ainsi, à Tunis, plus de la moitié de ces Juifs porte des noms ethniques des tribus ou des villes berbères de l’intérieur A
Tripoli, la proportion des noms d’origine berbère ou saharienne est encore plus accentuée.
2° Cette constatation s’applique surtout aux groupes que j’appellerais volontiers du nom de Judéo-Berbères. Ces derniers se divisent à leur tour en nomades, sédentaires et troglodytes.
(1) Cf. Cazès, Histoire des Juifs de Tunisie , note.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 491
Ils possèdent tous les attributs d’une race autochtone qui, bien que réduite en nombre et en importance, a laissé des traces de son passage et des survivances de son influence dans tous les domaines de la vie , dans la religion , dans les mœurs, la linguistique et les noms géographiques. Ces survivances se retrouvent folklore , les jusque us et coutumes chez quelques trahissent peuplades une ancienne berbères influence dont le juive.
LES JUDÉO-BERBÈRES.
Les Judéo-Berbères embrassent les groupements juifs suivants, qui subsistent de nos jours : Presque tous les Juifs de la Tripolitaine, parmi lesquels il faut signaler particulièrement les groupes de Msellata et de
Derna, les deux villes troglodytes que nous avons découvertes
dans le Djebel Gharian, et les trois villages d’Iffren qui forment
le versant oriental du Djebel Nefoussa. Dans le reste de ce der¬
nier, les Juifs ont disparu; mais leur souvenir se perpétue
encore partout.
En outre, les Juifs de Djerba, les groupes du Sud Tunisien,
les nomades juifs du Djerid, du Drid, du Sers et de la région
de Constantine appartiennent à la même origine. De plus, le
Maroc a encore conservé, en dehors des nomades, des JudéoBerbères
attachés à la glèbe et qui parlent le « Ghleuh » , dia¬
lecte berbère de l’Atlas.
C’est précisément ce dernier groupe juif africain qui doit
occuper toute notre attention.
Un des traits caractéristiques qui distingue les Judéo-Ber¬
bères est la foi qu’ils ont dans leur origine palestinienne di-
492 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
recte. Ces Juifs continuent, avec Procope, avec Ibn Khaldoun
et les auteurs hébreux de l’antiquité et du moyen âge(2V à con¬
sidérer les Berbères comme un peuple issu, lui aussi, de la
Palestine. Ceux de Ghadamès, par exemple, sont considérés
comme étant des Philistins qui ont émigré en Afrique après la
mort Nefoussa de Djalout seraient ou les de descendants Goliat. Les directs Berbères des du Ammonites Mzab et du et
des Moabites, tandis que les Masmouda seraient les Amalécites
de la Bible; si bien que tout un folklore aurait refait une
«se grandeetrouverait Palesine entouré » dans de le ses Tell anciens et les ksour rivaux. africains, où Israël
Les traditions des Juifs sont comme hantées par des souve¬
nirs bibliques; on signale partout la présence d’inscriptions
racontant sur le sol les africain. exploits de Joab et de Salomon , même d’Esdras ,
Cependant, l’opinion la plus accréditée auprès d’eux est que
les Juifs de l’intérieur seraient venus en grand nombre amenés
comme prisonniers de guerre, puis envoyés comme colons
par Titus en Afrique.
Cette tradition ne me semble pas devoir être démentie,
puisqu’on peut établir une filiation qui rattache les Judéo-Berbères
à l’époque romaine; plus tard, des survivances et des
documents divers ne font que la confirmer.
Cette hypothèse d’une origine palestinienne directe des po¬
pulations judéo-berbères m’a suggéré l’idée de tourner mes
recherches du côté des analogies que ces populations peuvent
présenter avec les Juifs primitifs, à une époque où le judaïsme
Borion sage Maures W concernant De , (De Bello dont JEdific. Vandal., la les prise , Juifs VI), II, de 10, voisine étaient la et ville le pas¬ des deen
possession mon. d’un temple attribué à Salo¬
W Fl. Josèphe, Antiquités j I, i5, et en
dernier lieu le livre pDlTP de Zacouto.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 493
rabbinique n’était pas encore dominant. Il faudrait s’attendre
à retrouver chez ces autochtones de l’Afrique des traces de
cultes qui nous sont connus, soit par les historiens, soit par les
découvertes archéologiques des premiers siècles du christia¬
nisme. Ce prototype de ce que devait être le judaïsme africain
primitif se présente à nous sous les aspects suivants :
i° L’existence des temples, à l’exclusion des synago||||s,
nisée. l’établissement qui tine; chant, tels J.-C., nos quiggue remplacement 3° 42jours que devaient forment La Les Ds en seoit nous permanence, (1); passe Egypte, traditions à survivances la exercer le en du Palestine, de depuis type rencontrons celui Cohen ces des l des Juifs l’abolition du d’Onias culte linguistiques, clans ou soit tombeaux moins , sacrificateur des au à des et nécropoles Eléphantine sacrifices moins pour les des Aaronides, juifs temples rites ou les à par classiques la , rituelles, premiers culte taillées des Cyrénaïque le des au ou rabbin sacrifices dont Phalachas ve des dans siècles en sièclee la ; prêtres Pales¬ le hellé¬ Syna¬ ratta¬ et rocav. de del
Sur tous ces points, mes recherches faites sur place n’ont
pas laissé de donner des résultats plus ou moins convaincants;
si bien que nous pouvons désormais affirmer que partout où
Ibn-Khaldoun place des Judéo-Berbères , les traces de leur passage
et certitude. même des survivances de leur séjour se laissent démontrer avec
Et. juives, Cf. Sachau, 1907, t. Drei LIV. îieue aramâiscke Papyrus , Berlin, 1907; Isr. Lévi, Revue des
494 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
NÉCROPOLES ANTÉ-ISLÂMIQUES.
Je commence par une étude des nécropoles pour deux rai¬
sons : d’abord, parce que les usages et les rites concernant les
morts sont ceux qui se perpétuent chez tous les peuples avec
le plus de persistance; ensuite, parce que la découverte de la
grande nécropole de Gamart, faite par le R. P. Delattre et da¬
tant de l’époque romaine , nous fait revenir au type classique
des nécropoles juives en Palestine. Ce sont des caveaux creusés
dans le roc et dans lesquels on trouve des niches ou des tom¬
beaux rectangulaires, que le Talmud désigne sous le nom de
pia « Koukhine » (1). Au Djebel-Khaoui, le R. P. Delattre a ex¬
ploré plus de cent caveaux pareils; chacun d’eux est pourvu
d’un couloir qui devait servir de lieu de prières et de rendezvous
pour la famille; il contient quelques bancs en terre, quel¬
quefois même les vestiges d’un puits, dont l’eau servait aux
ablutions rituelles. C’est le cas des nécropoles dites des « Rois »
et de tant d’autres à Jérusalem , dont les caveaux de Gamart ne
forment que la copie exacte. La disposition des tombes est
conforme aux prescriptions de la Loi; souvent on y trouve des
traces de chandeliers à sept branches et des caractères hé¬
braïques.
Avec la pénétration de l’Islam , ce type de tombeaux dispa¬
raît définitivement, pour céder la place aux tombes simples,
creusées dans la terre et recouvertes de quelques pierres rap¬
pelant les tombeaux des Arabes. Cependant, une chose disBaba
La (5) (3) nécropole Talmud L bathra, Monceaux, cause de ioob. de Gamart, en ?. ibid. est, , tr. , p. comme etc. Moëd 28; Delattre, qaton, l’explique 8b;
un Midrasch datant de cette époque , que
les Arabes ne se font pas scrupule de pro¬
faner les demeures des morts, de sorte
qu’on fut obligé de renoncer aux anciens
types de maisons mortuaires solides.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 495
tinguait cette nouvelle forme de tombe juive : par opposition
aux Musulmans, qui placent la tête des morts vers le sud-est,
c’est-à-dire vers la Mecque, les Juifs africains font tourner la
tête de leurs morts du côté du nord-est, c’est-à-dire vers Jéru¬
salem. Cette particularité nous permet de distinguer les cime¬
tières juifs du moyen âge de ceux des Musulmans et de ceux
de l’antiquité.
Les nécropoles juives du type Jérusalem-Gamart, c’est-à-
dire croirait. antérieures à l’Islam , sont plus nombreuses qu’on ne le
Le Djebel Iifren, dernier refuge des Juifs autochtones du
Djebel contenant Nefoussa, dès niches possède où l’on des trouve tombeaux des ossements. taillés dans Ces le caveaux roc et
se trouvent précisément situés dans le voisinage même des ci¬
metières juifs actuels et à proximité de la synagogue antique
dont il sera question plus loin.
A Djado, dans le Djebel Nefoussa, j’ai visité, dans le voisi¬
nage de la Hara ou de la ville juive actuellement délaissée par
ses habitants, une synagogue souterraine, et près d’elle des
caveaux à niches mortuaires. Dans l’une d’elles, j’ai trouvé les
traces de la ligure d’un chandelier, non à sept, mais à cinq
branches, rappelant la fameuse « Main de Fatma ».
Dans l’Aurès, le territoire , occupé autrefois par les Djeraoua,
qui s’étend du Djebel Mimtasa, situé en face des ruines de Bagaïa
et jusqu’au Djebel Djaafa, j’ai trouvé trois nécropoles du
nombreuses même type. Les ruines coteaux romaines du Djebelt, à Djaafa côté d’elles, possèdent de nombreux encore de
caveaux à niches. Chacun d’eux a un vestibule avec plusieurs
bancs , qui rappellent les tombeaux de famille à Gamart.
A Bagaïa même, je n’ai pas manqué de découvrir une vaste
nécropole SAV. ÉTRANG. analogue. –XII, 2 e PARTIE. Notamment, après avoir visité les 63 deux
496 ACADÉMIE DES INSCRIPTIOiNS ET BELLES-LETTRES.
collines principales, où la persévérance de M. Catalogne, l’ad¬
ministrateur de Khenchella, a réussi à déblayer les assises
d’une mosquée du moyen âge , celles d’un mur et d’une nécro¬
pole d’époque romaine , et peut-être même des vestiges datant
d’époque punique, je m’étais aperçu qu’une troisième colline,
un peu éloignée des deux autres et qui constitue un immense
roc, devait faire partie de l’ancienne ville.
Je n’ai pas tardé à faire la constatation qu’il s’agissait d’une
vaste nécropole, rappelant également les caveaux à niches de
Gamart. M. Catalogne a fait ouvrir trois de ces caveaux, et
nous y pénétrâmes avec l’aide des indigènes. Il s’agissait de
caveaux du type connu , dans lesquels des crânes et des osse¬
ments gisaient un peu partout. Aucune trace d’inscription;
mais précisément l’absence de tout symbole païen ou chrétien
ne pourrait -elle pas servir de point d’appui, d’ailleurs peu
solide, en faveur du caractère juif de cette nécropole? d’autant
plus que la nécropole romaine se trouvait incontestablement
au pied des murs de la ville.
On m’a signalé la présence d’une nécropole analogue sur la
pente du Djebel Mimtasa, située en face de Bagaïa. Là, un ci¬
metière juif se trouverait à côté de la nécropole creusée dans
le roc. Pareils cimetières se retrouvent dans le Djebel Chommer
et sur plusieurs autres points de l’Aurès.
Des nécropoles du même type se rencontrent dans la région
de Nédromah, centre des établissements des Médiouna et patrie
de tout un folklore qui se rattache à Josué ben Noun·
Plus intéressante peut-être est celle de Taza, la capitale du
Riff. Cette dernière ville, qui domine la région des Rhiata,
tribu ayant autrefois professé le judaïsme, est considérée par
M. René Basset, Nedromah et les Traras, dans l’introduction.
MÉMOIRES PRÉSENTÉS PAR DIVERS SAVANTS. 497
les Juifs comme l une des sept villes les plus antiques de
l’Afrique. La communauté juive de la place a des traditions
très anciennes et n’a jamais été complètement anéantie. Dé¬
truite il y a trois ans par la mehalla du sultan , la plupart de
ses habitants juifs s’étaient vu dans la nécessité de se réfugier
à Melilla, et ce fut dans cette dernière ville que j’ai rencontré
une centaine de familles originaires de Taza. Leur rabbin m’a
raconté les misères qui leur furent infligées par la solda¬
tesque. «Nous regrettons surtout, dit-il, d’avoir été forcés
d’abandonner les tombeaux de nos saints ancêtres. N’est-ce pas
dans ces grottes que nous avions l’habitude d’implorer la grâce
divine en cas de malheur public ? » Les prières faites dans les
caveaux souterrains ne rappellent-elles pas les usages des Thé¬
rapeutes juifs et des Berbères avant l’Islam ?
Je dois ajouter que le RifF est riche en sanctuaires juifs,
qu’il possède une tribu des Aaronides et des Juifs parlant le
Ghleuh, attachés à la glèbe.
On m’assure que des nécropoles souterraines identiques se
trouveraient également dans le Sous, notamment à Taroudant.
Seule, une exploration sérieuse pourrait rechercher toutes ces
nécropoles et en établir définitivement le caractère.
SANCTUAIRES.
Parmi les synagogues africaines, la tradition attribue une
importance particulière aux sanctuaires connus sous le nom de
«Ghriba». Ce terme se traduit dans le folklore judéo-africain
par les mots « solitaire » , ou « miraculeux ». On compte en tout
en Afrique six Ghriba dont l’origine se rattache à des temps
Berbères anciens et eux-mêmes dont l’âge continuent seul consacre à tenir la sainteté. en vénération Le fait ces que sanc- les
63.
498 ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.
tuaires montre qu’ils pourraient bien avoir une origine anté-
islamique. D’autres preuves plaident en faveur de cette thèse.
La Ghriba du Djebel Iffren est une synagogue souterraine (1),
qui saitnous danles transporte caveaux. à Elle des est temps isolée, où le solitaire, service comme religieux l’était se fai¬ le
? emple à une époque où les lois sur la pureté étaient encore
en vigueur. Elle est située en face d’un village qui porte en¬
core le nom de Cohen, ou village des prêtres, dont il sera
question plus loin.
Le sanctuaire abandonné de Djerba est également un ca¬
veau souterrain appuyé sur des colonnes. 11 en est de même
pour même. celui de Serous, que je n’ai d’ailleurs pas pu visiter moiPrès
de ce dernier se trouve aussi la Qoubbah de la femme
marabout, «Oum al Ghrib», la mère des Outres, sainte juive
d’origine mythique probable et d’époque ancienne, vénérée
par les Berbères.
En Tunisie, c’est le Kef, centre de ralliement pour les no¬
mades de ctte juifs dernière, du Kef set trouve du Drid, un cimetière qui possède où une les nomades Ghriba. Près des
douars des environs continuent à apporter leurs morts. La sy¬
nagogue «solitaire» et le cimetière ont existé, tous les deux,
avant la fondation de la ville française du Kef. Ils servaient donc
de lieu de rendez-vous pour les nomades juifs du pays.

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