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Judaïsme et classes sociales : le cas du Zohar.

Le Judaïsme Séfarade a dans la transmission de sa culture vécu un traumatisme différent que son corollaire européen.
Les Juifs Européens subirent des conditions sociales d’injustice et de cruauté, typiquement accordées aux étrangers et aux classes sociales inférieures dans les sociétés occidentales, avec une brutalité particulière réservée aux communautés juives, dont beaucoup furent décimées au cours des siècles.
Ces classes sociales vivant dans les ghettos d’Europe, devaient fournir leur labeur dans des conditions comparables à celles des colonies, devenant ainsi, en plus, la base expérimentale du traitement des colonisés.
Les Nazis se sont inspirés avec fierté sur le modèle du génocide amérindien, pour l’appliquer aux Juifs et aux Roms, considérés indésirables, et masse de labeur gratuit.
Mais avant le Nazisme, depuis 1905, l’Allemagne, en tant que nation coloniale, avait déjà expérimenté des atrocités similaires sur les Hereros.
Certes les citoyens déchus de leurs Droits humains furent victimes à part égale, et la souffrance humaine qui découle de leur maltraitance est en finale la même.
Cependant, être la cible directe du colonialisme, être l’envahi, le dominé, qui doit subitement changer de repaires et se trouver dans des nouveaux rapports de force et de redéfinition de soi, n’est pas la même expérience que quelqu’un dont le combat est d’être toléré par ses semblables.
Les deux choses n’appartiennent pas au même contexte psychologique, et les retombées et batailles individuelles ne sont pas les mêmes.
La comparaison dans ces domaines n’est jamais totalement possible, les motivations ne pouvant être comparables.
Mais des distinctions sont importantes à faire, afin de ne pas tomber dans les pièges des automatismes de perception, et des confusions qui peuvent être blessantes si on omet ces distinctions.
Le Judaïsme Européen a vécu pendant des siècles dans un contexte d’étouffement.
Les Juifs étaient bon gré mal gré placés de force dans ce contexte, bien qu’exclus du rôle de domination.
Juifs et Roms étaient dans un sens les Africains ou les amérindiens locaux, transnationaux et étrangers aux identités terriennes de la géographie européenne.
Cependant l’histoire de ces communautés s’inscrit légitimement dans l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.
C’est le devoir de l’Europe de corriger le rapport de négation avec ces branches de sa culture.
Le Judaïsme Européen dans son expression morale a été une résistance consciente à l’immoralité dans les rapports de pouvoir entre les êtres humains.
Il a aussi offert une alternative de vie communautaire et de liens sociaux, où la brutalité physique est totalement exclue et rejetée.
Et pour cela les communautés Juives européennes furent cruellement persécutées. Mais aussi leur place culturelle et intellectuelle incontournable est reconnue dans une Europe qui cherche à guérir de ses blessures.
Ainsi on peut dire que la littérature et l’héritage culturel des Juifs Européens est aujourd’hui préservé, en survivance aux agressions et autodafés de l’inquisition et du nazisme.
Le Judaïsme des pays colonisés par l’Europe a subi un traitement différent, car il n’appartient pas directement à l’espace Européen.
Dans les cercles académiques Européens son image fut volontairement réduite, à au même titre que les autres cultures colonisées, qui ont subi un véritable lavage et une révision au ridicule.
Malheureusement L’académie Juive Européenne n’est pas restée neutre dans ce domaine, et se sentant part de l’héritage intellectuel purement Européen, a contribué à renforcer les stéréotypes réducteurs à l’encontre de l’immense héritage séfarade.
Résultat: nos jeunes séfarades sont aujourd’hui plus ignorants de leur culture que leurs parents et grands parents, à une époque où l’accès à l’information est omniprésent.
Parmi ceux qui ont contribué à cette triste situation, une part majeure doit être attribuée à l’historien du mysticisme Juif, Mr Gershom Scholem et ses disciples, issus de l’école allemande, dont l’activité remonte à une époque quand l’université était aux ordres du colonialisme impérialiste, totalement décomplexé dans son attitude intrinsèquement supérieure aux peuples conquis.
La culture du Zohar, qui est identitaire pour tous les Juifs d’Afrique du Nord et centrale, pour tous les Juifs d’Orient, était pour ces académiques Juifs allemands une cible de déconstruction et de démystification par l’absurde.
La finalité de leur analyse vient à dire, comme toutes les autres analyses des cultures colonisées de leur époque, que les héritages littéraires, philosophiques, religieux et scientifiques des Non Européens étaient de par leur nature inférieurs au ‘progrès’ de la civilisation occidentale dans tous ces domaines.
La culture chinoise avec ses propres notions de Yin/Yang a pu ou su, s’épargner de cette stratégie de dévalorisation. L’acupuncture est un exemple de succès dans cette résistance culturelle.
Ce qui a été fait à l’école du Zohar par ces historiens académiques Juifs Européens, est un exemple type de l’approche du reducio ad absurdum des historiens euro centristes concernant les cultures considérées « exotiques ».
Le Zohar est pour eux quelque chose qui doit se conformer à leur lecture académique occidentale, correspondre à leurs débats de valeurs et se conformer à leurs chronologies, et à leurs propres révisions de celles-ci.
Les traditions orales perdent toute validité sous ce regard qui se méfie surtout de l’autre pour apprendre quoique ce soit.
Jamais les tenants de ces traditions n’étaient consultés ni considérés crédibles par ceux dont la carrière consistait à raconter l’histoire des communautés concernées .
Si Guershom Scholem avait eu la décence d’écrire « Rencontre  avec un mystique du Zohar », on aurait pu voir le visage et le rapport de l’auteur qui nous parle avec ceux dont la culture est au vif du sujet.
Mais jamais cette rencontre n’a lieu. Rencontre inter culturelle basée sur un rapport de découverte et d’échange.
Non, dans sa posture l’école de Scholem annonce clairement sa démarche réductrice. Elle n’a rien à apprendre de l’école du Zohar, comme un élève en biologie n’a rien à apprendre de l’animal qu’il discecte. C’est de la dissection froide et méthodique où les questions de rapports n’existent pas entre l’examinée et l’examinant.
Le Livre pour une tradition orale comme le Zohar n’est que la pointe visible d’un immense espace humain de mémoire et de réflexion.
Guershon Scholem a tenu à ce que cette histoire maghrébine soit racontée à partir de sa période Andalouse.
Malgré les traditions explicites des Maîtres du Zohar, qui disent que les écrits furent révélés dans la vallée du Draa, et leurs traditions remontaient à l’antiquité Punique, Guershom Scholem dans sa quête démystificatrice a tenu à soutenir la thèse d’un seul auteur du XIIIeme siècle, le Kabbaliste Moshe Di Leon de l’Andalousie Maghrébine.
Attribuer à toute une culture un seul auteur (faussaire selon Scholem) est un acte voulu de décapitation.
Le reste est de la broderie pour justifier cet acte.
Les historiens héritiers de Scholem sont aussi complices de ce saccage de la culture Juive Marocaine.
Le premier à ce lancer dans le massacre académique systématique du Zohar était Graetz, lui aussi de l’école allemande, quelques décennies avant Scholem.
Au moins Graetz ne cachait il pas son dégoût des écoles mystiques marocaines. Leurs œuvres étaient selon lui des sous produits, mais au moins son ignorance du sujet etait aussi saillante que sa répulsion à ce qu’il considérait irrationnel, car etant étranger au discours courant dans l’espace académique Européen, le seul dont Graetz pouvait approuver.
En dévalorisant systématiquement le Zohar, ces historiens se sont attaqués à l’âme culturelle des Juifs du Maroc, sans jamais avoir pris le temps de se questionner, face aux conséquences et à la signification de ce rapport de force.
Ce dénuement par la prétention de contribution à l’histoire, est en fait un dépouillement, une entrée dans un dialogue basé sur
ce que l’autre n’a pas, qui pointe à une pauvreté inhérente. La conclusion que ces académiciens veulent faire prendre au public est que le Judaïsme Nord Africain est une supercherie, et que ses adhérents sont des bernes qui ont besoin des Européens pour leur montrer une fois de plus leur logique implacable et supérieure face aux superstitions des colonisés.
Guershom Scholem a permis à l’Europe de découvrir la Kabbale comme Colomb l’Amerique. C’est à dire un espace où pour lui personne de valable ne réside, donc à prendre désacraliser et récupérer. Ce projet visait à enterrer vivante cette culture en la mettant au banc des traditions respectables.
Mais pour nous Juifs Africains ceci n’est pas étonnant.
De nombreuses autres traditions africaines ont subi le même dédain et le même mépris de la part du milieu académique Européen.
Que serait il mieux de faire de la part des historiens?
Une bonne chose serait de questionner le rapport de leurs académies avec les cultures qui jouent le rôle de dominées dans leur narratif historique.
Le cas du Zohar risque d’être le domino qui entraîne la chute du reste, dans le cas des cultures Juives venant des pays colonisés par l’Europe.
Les communautés Juives d’Afrique et d’Orient doivent elles mêmes prendre contrôle de leur narratifs et ne pas laisser leurs monuments culturels
sous la tutelle de gens qui non seulement n’y comprennent rien, mais qui en plus voient leur tâche dans la réduction de la dimension humaine et ancestrale de cet héritage précieux et irremplaçable qu’est le Zohar haQadosh.

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