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Autre dispersion des Juifs partout dans le monde. E.M

Un trait caractéristique majeur dans l’histoire des populations juives, depuis la chute du deuxième royaume d’Israël en 70 , est leur dispersion partout dans le monde et leurs migrations innombrables, à la merci de brimades, spoliations et persécutions de la part des nations qui les avaient accueillies – avec tolérance ou réticence -, mais toujours sous le signe de préjugés.
Ceux qui résistèrent à l’assimilation eurent toujours deux soucis principaux : le rassemblement structuré en communautés culturelles et sociales, de nature à renforcer la préservation de l’héritage ancestral et à assurer un front solide contre les courants d’hostilité, et, à cette fin, le maintien de contacts suivis avec d’autres communautés.
C’est ce qui a permis aux élites intellectuelles, même au cours d’un Moyen-âge obscur dans le monde occidental, de ne laisser perdre aucune trace de la vie communautaire et de préserver une histoire ordonnée de chaque groupement.
Cependant, en marge des communautés organisées, il y a eu des groupes isolés, dont la judéité est historiquement prouvée pour certains, tandis qu’elle est, ou était, sujette à caution pour d’autres. C’est justement à cause de leur isolement que l’histoire de ces groupes reste entourée de légende quant à leur origine, et de confusion en ce qui concerne leur évolution.
Les Beta-Israel
D’après leur propre tradition, les  Beta-Israel tirent leur origine des notables de Jérusalem qui accompagnaient Ménélik, fils du roi Salomon et de la reine de Saba, quand il revint dans son pays, l’Ethiopie. cependant, cette croyance peut paraître fragile lorsque – en suivant une autre source, – on situe le royaume de Saba au Sud de la Péninsule d’Arabie, dans l’actuel Yemen. Dans le Coran, Mahomet connaît trois religions monothéistes : la juive, la chrétienne et celle des Sabéens. Un étroit bras de mer (le détroit de Bab-el-Manbeb), sépare le Yémen de l’Ethiopie, d’où la confusion entre les deux versions.
Le judaïsme était largement propagé en Arabie du Sud depuis le règne du roi Saül.  Quoi qu’il en soit, les chroniques éthiopiennes montrent que le judaïsme s’était étendu dans le pays bien avant la conversion au christianisme de la dynastie Axum au 4ème siècle. Ceux des juifs qui résistèrent au prosélytisme chrétien en Ethiopie furent vite l’objet de brimades, ce qui les contraignit à se retirer des régions côtières et à se réfugier vers la zone montagneuse au Nord du Lac Tana. Ils s’y concentrèrent et vécurent en entière indépendance sous leurs propres chefs.
Au 10ème siècle, les Les Beta-Israel jouèrent un rôle important dans l’offensive des tribus Agau contre la dynastie Axum. Toujours d’après la tradition éthiopienne, il y avait parmi eux une reine nommée Judith, qui conduisit les rebelles à destituer le Négus et à passer leur colère sur les chrétiens.
Il reste établi que, depuis lors et jusqu’au 17ème siècle, les  Beta-Israel gardèrent leur indépendance. En effet, lorsque les tribus Agau se révoltèrent à nouveau contre le pouvoir central, les  Beta-Israel, conduits par leur roi Gédéon, s’associèrent à la révolte. Après avoir maîtrisé la rébellion, le Négus concentra toute sa puissance contre les  Beta-Israel et les attaqua dans leur territoire. Il conquit leurs forteresses; un grand nombre d’entre eux furent massacrés. Le Négus promit aux survivants le retour en paix dans leurs villages s’ils laissaient tomber les armes. Cependant, peu après, le même Négus, sous la pression du clergé, mettait les  Beta-Israel devant l’alternative ; la conversion ou la mort. Refusant le baptême, le roi Gédéon fut tué avec beaucoup de ses sujets au cours d’une dernière bataille acharnée. Les Beta-Israel qui survécurent furent réduits à l’esclavage, et la peine de mort fut décrétée contre ceux persistant dans la pratique du judaïsme. Cette pratique fut poursuivie, pour être préservée jusqu’à nos jours.
Il y a d’autres sources sur l’origine des  Beta-Israel. Un voyageur juif du 9ème siècle Eldad ha-Dani – a laissé des indices sur les juifs dispersés de son époque. D’après lui, les fugitifs des tribus de Dan, Asher, Gad et Naftali, rescapé de la chute du premier royaume d’Israël, se rassemblèrent dans une région dénommée Havilà, proche de l’Ethiopie, et fondèrent un royaume, dont fut proclamé roi un certain Abdiel. De là situer en ce royaume l’origine des Beta-Israel il n’y a qu’un pas, d’autant plus que les annales éthiopiennes concordent pour attester l’existence d’un Etat juif autonome.
Fort curieusement, la région dénommée Havilà est citée dans Béréchit 2/11, comme étant le « pays de l’or ». En fait, la zone choisie par les Les Beta-Israel pour leur établissement primitif se trouve sur la grande route sud-nord que, pendant des millénaires, parcoururent des caravanes de chameliers, assurant le trafic de l’or et des esclaves noirs, entre le centre de l’Afrique d’une part, l’Egypte, l’Arabie et tout le Proche-orient, de l’autre. Benjamin de Tudèle – célèbre voyageur séphardi du 12ème siècle – cite des juifs éthiopiens dans ses récits, tandis que le géographe arabe Idrisy, son contemporain, savait que des juifs vivaient près de l’affluent du Nil, le Tacazzé, qui coule justement dans la région des Les Beta-Israel.
Par la suite, les traces historiques des Les Beta-Israel sont de plus en plus nombreuses. Eliyah de Ferrare ( 15ème siècle) eut connaissance de la lutte des Les Beta-Israel contre les chrétiens qui voulaient leur imposer la conversion ; Ovadià de Bertinoro, son contemporain, connu lui-même des Les Beta-Israel en Egypte. Au cours des 16ème et 17ème siècles, de nombreuses missions catholiques tentèrent de convertir les Les Beta-Israel. Les dangers d’assimilation furent encore grands au 19ème siècle, lorsque des missions protestantes américaines, puissamment financées, s’attachèrent à les séduire vers la conversion, ce qui paraissait facile, étant données leurs conditions très misérables..
Le sort des Falashas commença enfin a attirer l’attention de personnalités juives. Une action efficace en leur faveur fut entreprise et évolua favorablement grâce à Jacques Faitlovich, orientaliste juif d’origine polonaise, qui forma un comité international pro-Les Beta-Israel, pour la création d’écoles dans leurs villages, dans le but de promouvoir leur émancipation et, grâce à de puissants subsides, améliorer leurs conditions de vie. S’étant fixé en Israël après la dernière guerre mondiale, c’est lui qui amena l’Agence juive à assurer la relève de son oeuvre, sur une échelle plus étendue et plus active.
Où en est le problème des Les Beta-Israel aujourd’hui ? SI leur sort suscita un grand intérêt en Israël, il ne fut pas question de considérer, tout de suite, leur immigration et leur intégration, étant donné le doute sur leur judéité. Cependant, dès 1921; Rav Kook n’hésitait pas à reconnaître les Beta-Israel comme partie intégrante du peuple juif. En mai 1973, Rav Ovadià Yossef déclarait officiellement que les Les Beta-Israel sont juifs, descendants de la tribu de Dan; Rav Shlomo Goren prenait aussitôt la même position.
Depuis que quelques groupes se sont établis en Israël et se sont intégrés à la vie du pays, l’expérience semble rassurante. Les restrictions sur leur immigration ont été assouplies, parallèlement à l’aide financière assurée conjointement par l’Agence juive, le Congrès juif mondial et le Joint. On peut donc espérer que les derniers lambeaux de ce peuple juif pourra finalement réaliser le rêve millénaire de rejoindre la terre de ses ancêtres.

Les Géorgiens

Il subsiste encore aujourd’hui beaucoup de confusion sur l’origine des Juifs de Géorgie au Caucase. Cependant, il reste bien établi qu’ils forment une ethnie bien distincte de tous les autres juifs de l’ex Empire soviétique.
D’après leur tradition, les juifs géorgiens, qui se dénomment eux- mêmes ‘Guriyim »(en hébreu, pluriel de gour : lionceau, probablement d’après l’emblème de la tribu de Juda), font remonter leur origine aux dix tribus d’Israël, déportées en exil par Salmanassar, roi d’Assyrie (8ème siècle av. E.C.). Cependant, une autre version veut que leurs ancêtres relèvent plutôt des exilés du royaume de Judas, sous Nabuchodonosor, roi de Babylonie, ce qui corroborerait l’étymologie du Guriyim. Le Talmud fait mention d’une communauté juive en Géorgie, et dans le livre Roch-ha-chanà, il est question d’un voyage qu’y aurait fait Rabbi Akivà.
De toute manière, l’établissement de juifs dans cette contrée remonte à une époque très ancienne. Une des premières traces est trouvée dans l’Histoire de l’Arménie de Moïse de Khoren, considéré comme le père de la littérature arménienne, qui aurait vécu au 5ème siècle, bien avant la conversion au christianisme des populations caucasiennes. D’après cet ouvrage, la famille Bagrat, qui donna plusieurs rois à la Géorgie et à l’Arménie, était issue de Juifs nobles de la tribu de Judas, de même que plusieurs autres familles de l’aristocratie géorgienne.
Il y a aussi des traces historiques de liens étroits entre les juifs géorgiens et ceux de l’empire des Khazars entre les 9ème et 11ème siècles. L’historien séphardi Abraham ibn Daoud fait état du profond attachement des juifs géorgiens à la culture biblique, et le célèbre voyageur Benjamin de Tudèle se penche longuement sur leur situation. En 1270, le grand voyageur vénitien Marco Polo, dans son ouvrage « Il milione », ne manque pas, lors de son passage dans le Caucase, de constater l’influence des marchands juifs dans les villes de Géorgie.
Ayant vécu en bonne harmonie avec le reste de la population jusqu’au début du 15ème siècle, les juifs de Géorgie connurent ensuite l’oppression et même des persécutions, aussi bien des chrétiens que des musulmans, les obligeants souvent à l’assimilation ou à l’exode.
Au début du 19ème siècle, la Géorgie fut annexée par la Russie. Sous le régime impérial, les juifs furent traités en parfaite égalité avec le reste de la population, sans être nullement assimilés aux mesures discriminatoires qui frappaient tous les Juifs de l’empire moscovite. Cependant, l’anti-judaïsme russe devait bientôt s’étendre sur les Juifs géorgiens aussi. En 1835, une mesure d’expulsion à leur égard dut être annulée grâce aux violentes protestations locales, qui ne voulaient pas se séparer de ceux qui jouaient un rôle important dans l’économie. C’est ce qui mit les juifs géorgiens à l’abri des brimades et des pogroms, dont souffraient tous les juifs de Russie. Bien que depuis l’avènement des Soviets de nombreux contacts se développèrent avec les autres communautés de l’ex URSS, celles de Géorgie restèrent attachées à leurs propres traditions et coutumes. Non seulement elles se distinguent par la langue géorgienne, alors que le yiddish y est inconnu, mais, ce qui est remarquable, c’est qu’elles ont aussi une littérature bien à elles.
Etant restés réfractaires au collectivisme, les Juifs géorgiens ont délaissé les activités agricoles, en affluant vers les grands centres. S’étant avérés inassimilable au régime soviétique, ce sont eux justement que le Kremlin avait préféré placer en priorité pour l’octroi des premiers visas d’émigration vers Israël. leur nombre se situait aux environs de 80.000 dans les années 70 ; les nombreux départs en Israël et ailleurs, surtout depuis le démembrement de l’Union Soviétique, ont réduit ce nombre à quelques milliers.
Au Caucase oriental, près de la Géorgie, en Daghestan (anciennement Chufut- dag, en truc Montagne des Juifs), il existait une autre ethnie, ayant une origine commune à celle des juifs de Géorgie, et qu’on dénomme communément : les Juifs des montagnes. Cependant, cette communauté a conduit une existence très particulière, ayant comme activité principale l’élevage de bétail. Le Talmud Yeruchalmi cite une communauté dans la ville de Derbent au 3ème siècle, et Rav Shimon Safra qui y enseignait. Cependant, longtemps leur culture demeura superficielle sous un dialecte judéo-ata, mélange de langues caucasiennes, perses et hébreu.
Un religieux chrétien hollandais, qui visita le Caucase en 1254, fait état d’une population juive importante dans la région de Derbent. Dans une chronique russe de 1346, le Caucase oriental est mentionné comme « Zhidi » (terre de Juifs), ce qui donna lieu plus tard à la dénomination turque Chufut-Dag.
Avec l’établissement d’immigrants Juifs de Russie au 18ème siècle, les Juifs des Montagnes purent mieux s’intégrer à la culture juive et à une pratique de la religion. Nombreux furent ceux qui envoyèrent leurs fils dans les yéchivot en Pologne et en Lituanie, et qui plus tard adhérèrent aux premiers mouvements sionistes.
Par la suite, un mouvement migratoire se poursuivit vers Israël, à la suite d’un premier groupe conduit par Rav Yaacov Yitshaki en 1907, qui fonda un moshav à l’ouest de Ramleh, plus tard dénommé Beer-Yaacov, en l’honneur du fondateur. C’est sous l’impulsion de ce mouvement que Ghershon Muradov, porte-parole du comité sioniste du Daghestan, proposa la formation d’un régiment de cavalerie pour se joindre à la Légion juive intégrée dans l’armée britannique, engagée au Proche-Orient pendant la Première Guerre mondiale.

Les B’nai Israël

C’est une communauté en Inde qui a une origine entièrement légendaire. Ils maintiennent eux-mêmes que leurs ancêtres fuirent la Galilée, suite aux persécutions d’Antiochus Epiphane vers 175 av. E.C. (histoire de Hanucca). Leur navire finit dans un naufrage sur l’Océan indien; sept hommes et sept femmes survécurent et purent atteindre la côte au village de Nawieon à 45 km de Bombay. Ils y restèrent, eux et leurs descendants, isolés de tous contacts juifs pendant des siècles.
Ils oublièrent beaucoup de l’hébreu, des prières et des traditions et adoptèrent des noms et des moeurs de leurs voisins hindous, ainsi que leur langue, le marathi. Cependant, ils restèrent attachés à l’observance de quelques prescriptions fondamentales : la circoncision, le shabat, les lois alimentaires, quelques fêtes, la récitation du Chema. Leurs principales activités étaient l’agriculture et la fabrication d’huiles alimentaires.
L’existence de cette communauté resta inconnue jusqu’au 18ème siècle, lorsque beaucoup d’entre eux s’établirent à Bombay, attirés par l’essor économique provoqué par la venue des Anglais. Ils furent bientôt appréciés par l’administration britannique, qui trouvait en eux d’excellents fonctionnaires et de bons officiers, dont beaucoup se distinguèrent brillamment dans les nombreuses guerres impériales en Asie.
A la faveur de contacts avec des Juifs venant des pays arabes, surtout de la riche communauté de Bagdad, qui s’établissent à Bombay, au début du 18ème siècle, les B’nai Israël amorcèrent un rattachement au judaïsme, ce qui n’était gère facile. C’est surtout grâce à la très riche famille Sassoon de Bagdad et à sa générosité, que leur situation s’engagea, au cours du dernier siècle, vers une rapide évolution. La construction de nombreuses synagogues et écoles et la structuration d’une vie communautaire accélérèrent leur intégration dans une vie normale vers la fin du siècle dernier.
En 1881, leur nombre était d’environ 7.000 personnes pour atteindre quelques 24.000 persones en 1947. Depuis lors, un grand mouvement d’émigration s’amorçait principalement vers Israël et l’Angleterre. En Israël, il y eut d’abord conflit quant à leur judéité. A la suite de plusieurs missions envoyées sur place, le Grand rRbbinat put établir quelles étaient les lacunes à combler pour faire d’eux des juifs à part entière. Après beaucoup d’investigations et d’efforts, c’est finalement en 1961 que le Grand Rabbinat d’Israël mit les choses au point et écarta définitivement toute crainte à leur égard. Entre 1948 et 1969, un peu plus de 12.000 B’nai Israël se sont établis en Israël, et se sont bien intégrés économiquement, notamment dans les activités textiles et métallurgiques, ainsi que dans l’administration. Ils se sont concentrés surtout à Beer-sheva, Dimona, Ashdod, et Eilat, quelques-uns uns aussi dans des kiboutzim et moshavim.

Les Juifs de Cochin

Egalement en Inde, mais à 1200 km au Sud de Bombay sur la côte des Malavbars, dans la ville de Cochin (Etat de Kérala), se trouve une autre communauté, qui n’a rien de commun avec les B’nai Israël. Son origine est partiellement entourée de légende. Elle comporte trois groupes bien distincts : les Blancs, les Noirs et les Meshurarim ou émancipés.
On put, à peu près, établir l’origine des Blancs. Ils sont un mélange de réfugiés, ayant fuit la Judée après la destruction du premier Temple, et en partie d’autres réfugiés qui débarquèrent à partir du début du 16ème siècle, venant d’Espagne, de Hollande, d’Allemagne et de Syrie. L’assimilation entre les Juifs de ces origines disparates fut relativement facile, de façon à en constituer, en peu de temps, une ethnie presque homogène.
Par contre, les Noirs et les Meshurarim ont la peau très foncée, comme celle des Hindous de cette région. Leur origine n’est pas connue ; on suppose que les Noirs soient descendants d’Hindous convertis, alors que les Meshurarim seraient issus d’anciens esclaves émancipés, également convertis au judaïsme.
Il y a là un état de choses bien confus, en dépit des contacts de cette communauté avec le monde extérieur, juif et autre, depuis plusieurs siècles. déjà vers 1170, Benjamin de Tudéla, de passage dans la région, constate la présence d’un millier de juifs, aussi noirs que leurs voisins, qui observaient la Torah, et même la loi orale. Il y a ensuite un grand vide jusqu’au début du 16ème siècle, lorsque la femme du voyageur portugais Gaspar de Gama, qui était juive de Cochin, rapporta à ses coreligionnaires beaucoup de livres de prières en hébreu, qui avaient été confisqués à des Juifs au Portugal, lors de leur exode en 1497. Par la suite, les contacts avec le monde extérieur furent plus fréquents, grâce surtout à l’arrivée de nombreux marranes d’Espagne et du Portugal. Sous la domination portugaise, jusqu’en 1663, c’est grâce à la protection du rajah (gouverneur local), que les Juifs purent garder leur identité, en évitant la conversion forcée ou l’expulsion, sous la contrainte des agents de l’Inquisition par ordre du Pape.
En 1663, ils accueillirent les Hollandais (qui chassèrent les Portugais) en libérateurs, d’autant plus qu’ils s’étaient eux-mêmes libérés de l’autorité pontificale. Peu après, une délégation de la communauté juive d’Amsterdam arrivait à Cochin, pour examiner sur place les problèmes de leurs coreligionnaires.
Bien que depuis lors les contacts avec l’extérieur aient été maintenus et l’émancipation assurée, les juifs de Cochin sont restés divisés en trois groupes, comme auparavant. Encore au début de ce siècle, cette discrimination était visible, excluant tous liens, surtout entre les Blancs et les autres. En outre, jusqu’en 1932, les Meshurarim n’étaient pas admis aux synagogues des autres groupes, sauf à Simhat-Thora.
Cependant, dès 1882, Rav Leir Panigel, Grand Rabbin d’Israël, déclarait que les Juifs Noirs de Cochin étaient de vrais Juifs, tandis que les Meshurarim devaient passer un processus de conversion.
En 1948, beaucoup de Juifs cochinois demandèrent à s’établir en Israël. La première aliya fut cependant retardée par le gouvernement israélien, qui voulait avoir tout apaisement sur l’immunisation des nouveaux immigrés contre l’éléphantiasis, maladie très répandue au Kérala. Dès qu’il fut établi que cette maladie n’est pas contagieuse, un premier flux de deux mille personnes eut lien entre 1953 et 1955. En 1970, plus de quatre mille se trouvaient définitivement intégrés en Israël. Il en restait encore quelques milliers en Inde, où ils vivent toujours en parfaite harmonie.

Les Juifs en Chine

Les traces qui restent des communautés juives en Chine sont très fragmentaires et confuses. Je me bornerai à toucher l’histoire de quelques événements isolés parmi celles qui firent souche dans le pays, et qui n’eurent aucun rapport avec les groupes de marchands qui s’y établirent sporadiquement dans les grands centres (Pékin, Shanghai, Canton), à partir de 1830, en provenance de Bagdad, de l’Inde et de plusieurs pays d’Europe. Les liens entre les juifs et la Chine remonteraient très loin dans l’histoire. Dans le livre de Yéchaya, il est question d’un « retour de la terre des Sinnim ». Historiquement, c’est à partir du 8ème siècle qu’on apprend, par des historiens arabes, que des marchands juifs de Bagdad et d’ailleurs au Proche Orient se fixaient en Chine, pour échanger des produits de leur pays contre des épices et des soieries. Des documents en témoignent : une lettre en judéo-persan, datant de 717, trouvée par un explorateur anglais, et une feuille contant une prière en hébreu, trouvée en Chine, de la même époque.
De leur côté, les annales chinoises font état d’une rébellion à Canton vers 878, au cours de laquelle environ cent-vingt mille étrangers, surtout Arabes et Juifs, furent massacrés. D’après Marco Polo, vers la fin du 13ème siècle, une communauté juive importante se trouvait en conflit avec des Musulmans et des Chrétiens, pour exercer une influence sur le souverain mongol et sa cour. Entre 1329 et 1354, trois décrets de l’empereur font état des Juifs en matière de fiscalité, de mariages et de service militaire.
De tout ce qu’on connaît des Juifs de Chine, c’est sans conteste l’histoire de la communauté de Kaï-feng dans le Honan, qui est la plus attachante et la plus cohérente. Le récit le plus détaillé et le mieux documenté on le doit au célèbre missionnaire jésuite italien Mattéo Ricci, qui passa les trente dernières années de sa vie en Chine, au début du 17ème siècle. D’après lui, les Juifs de Kaï-feng étaient descendants de Chinois convertis au judaïsme, du moins d’après leur aspect morphologique. Quelques membres de sa mission, s’étant rendus à Kaï-feng en 1605, eurent la surprise d’y trouver une grande synagogue, somptueusement construite et décorée, avec son « déviré accessible uniquement au Grand Rabbin. Le caractère purement juif de la communauté était incontestable : circoncision, observance du shabbat et des fêtes mosaïques, lecture de la Torah, exclusion du porc et d’autres bêtes de la nourriture, existence en profusion de manuscrits en hébreu, etc.. Leur nom chinois –Tiao Chin Chia – mettait en évidence leur identification par l’observance des prescriptions alimentaires.
Parmi de nombreuses tablettes en hébreu, une datant de 1563 indiquait Adam comme le premier ancêtre, Abraham comme le fondateur de la religion, Moïse comme le promulgateur de la Loi, et relevait une similitude entre le judaïsme et le confucianisme. Une autre tablette, datant de 1512, faisait remonter l’origine des juifs en Chine à la dynastie Han (2ème siècle av. E.C. au 3ème siècle E.C.), et la plus ancienne synagogue de Kaï-feng à 1163.
La révolution de 1644, qui établit la dynastie Ching, provoqua l’inondation de la ville, la destruction de la grande synagogue et des livres sacrés, la fermeture des écoles juives, et un déclin général de toute la vie communautaire. Bien que la synagogue fût reconstruite, l’hébreu demeura une langue morte dès le début du 18ème siècle. Lorsque mourut le dernier Grand-Rabbin chinois en 1800, l’esprit du judaïsme s’était tellement dilué, que des missionnaires chrétiens purent facilement acheter des séfarim et de nombreux manuscrits en hébreu, qui furent envoyés enrichir des bibliothèques et des musées en Europe.
Des efforts furent entrepris par la communauté juive de Londres en 1760 et en 1815 pour préserver les vestiges du judaïsme chinois. La dernière mission visita la ville en 1850 ; elle y trouva encore la synagogue, qui était fort peu fréquentée, et revint avec des séfarim et d’autres manuscrits. Une mission protestante qui s’y rendit en 1866, n’y trouva plus la synagogue ; elle avait été démolie par les derniers membres de la communauté, réduits à la misère, pour vendre les pierres et autres matériaux à des musulmans qui voulaient bâtir… une mosquée.
Les quelques Juifs de Kaï-feng qui voulurent préserver leur judéité se transférèrent à Shanghaï vers 1900, avec l’aide des Juifs européens de cette ville. Ceux qui restaient de l’ancienne communauté sombrèrent dans l’assimilation. Il subsiste encore dans cette ville un petit groupe, séparé du reste de la population, qui se dit descendre de la vieille communauté, dont il évoque le souvenir, non sans fierté ; il n’a, hélas ! plus rien gardé de la judéité de ses ancêtres.
A croire les récits des écrivains américains Rudoyard Kipling et Pearl Buck, l’histoire des Juifs de Chine ne manque pas de grandeur et de noblesse, pour qu’on arrive à l’évoquer avec tant d’émotion.

Les Khazars

Il peut paraître étrange qu’on n’ait pas pu établir avec précision l’origine géographique d’une peuplade qui est pourtant entrée dans l’histoire sur un vaste territoire entre la mer Caspienne, la Volga, la chaîne des Carpates et la Mer Noire, et s’y est maintenue entre le 7ème et le début du 11ème siècle.
Cependant, alors que persistent des doutes sur l’étymologie du nom Khazar, on a bien identifié l’appartenance primitive de cette peuplade à des tribus turques et persanes de l’ancien Turkestan en Asie Centrale. Après une longue période de migration, une branche de ces nomades commença à s’implanter au Nord du Caucase vers l’estuaire de la Volga. C’est la première étape qui marque la naissance de ce qui deviendra l’empire des Khazars, entre deux puissances : les envahisseurs arabes venant du Sud et l’empire byzantin, successeur de Rome, déjà dominant toute la région des Balkans et l’Asie Mineure.
A la différence de ces deux géants voisins, solidement structurés, les Khazars apparaissent dépourvus de tous les ingrédients constituant une nation, étant, au surplus absolument incultes et analphabètes. Pourtant, sous l’influence de contacts suivis avec leur entourage, tout en se sédentarisant, ils parviennent progressivement à sortir de leur état de barbarie. Aux premiers rudiments d’une vie organisée sous une hiérarchie en éveil, vient s’ajouter la notion de valeur spirituelle qu’ils ne possédaient guère, et qui leur est inculquée par les contacts de plus en plus étroits avec les Byzantins et les Arabes, ainsi qu’avec les communautés juives solidement implantées depuis Byzance jusqu’au Caucase.
C’est ainsi que leur roi (Khagan), stimulé par un désir d’accès au monde civilisé, est incité à la connaissance des religions professées autour de son domaine. Des légendes entourent sa préférence du judaïsme, malgré les discriminations qui accablent l’existence des Juifs. La conversion du Khagan est historiquement attestée par ses correspondances avec Hadaï Ibn Shaprut, ainsi que par Yéhouda Ha-Lévi dans son ouvrage al-Khazari. Ce premier pas entraîne la conversion au judaïsme vers le milieu du 8ème siècle de toute la classe dirigeante et progressivement d’une grande partie de la population.
A l’apogée de sa puissance, l’empire Khazar est pris à partie par une nouvelle invasion venant du Nord d’un ennemi inattendu. Sous la poussée irrésistible des Russes, entre la fin du 10ème et le début du 11ème siècle, détruisant les principales forteresses, Itil, Samandar, et Sarkil – tout le territoire des khazars est annexé, étendant ainsi la domination de cet empire jusqu’en Crimée.
Il ne subsiste pas le moindre vestige témoignant de la longue existence des Khazars en tant que nation. On peut croire que sous la furie destructrice des envahisseurs russes, exacerbée par la résistance des Khazars à leurs efforts de conversion, toutes les villes et les villages furent anéantis, ne laissant aucune trace.
Ce qu’on connaît de l’histoire des Khazars on le doit aux récits de nombreux historiens – juifs, grecs, arabes et russes – ainsi qu’aux correspondances échangées avec des personnages en Espagne. Leur essor semble avoir atteint un niveau considérable, à juger par de nombreux liens de mariage entre des princes ou princesses khazars et les familles régnantes de Byzance.
Après toute cette nébulosité historique, une question se pose : qu’est devenue la population khazar après la débandade effrénée sous l’invasion russe détruisant son empire ? Bien qu’ignorant son importance numérique, on peut imaginer qu’elle était considérable, à juger par l’impact qu’elle exerçait sur ses voisins byzantins et musulmans. Indéniablement, ceux qui restaient attachés à la religion nouvellement acquise n’avaient pas d’alternative entre une nouvelle conversion et l’exode, exposés comme ils étaient à une extermination certaine en cas de résistance.
On sait, d’après des témoignages historiques, qu’un groupe chercha refuge à l’Est parmi les communautés juives du Caucase. Un autre vers les Carpates, surtout en Hongrie et en Bohème- Moravie. Mais le gros de la population se dirigea au Nord vers l’Ukraine, la Biélorussie, la Pologne, la Lituanie et les zones limitrophes de Russie.
Partout dans ces territoires, où la population juive était numériquement insignifiante au début du Moyen-âge, l’affluence massive des fugitifs khazars rencontrait d’autres groupes d’émigrants venant des régions rhénanes de France et d’Allemagne ainsi que du Danube, échappant à la vague de persécutions par les bandes armée chrétiennes des premières croisades, en route vers la Terre-Sainte via Constantinople. D’après de nombreux historiens du judaïsme européen de l’époque, c’est la jonction des Khazars aux fugitifs venant de l’Ouest et aux populations locales déjà organisées en communautés qui a donné lieu à la naissance du grand peuple ashkénaze, en se restructurant pour devenir, dès le 16ème siècle, la partie prépondérante des juifs dans le monde.
En quoi se justifie la dénomination ashkénaze ? (Nom hébreu de l’Allemagne, mais primitivement celui d’une peuplade dans le Caucase, descendante d’Ashkénaze, fils de Gomer, fils de Yafeth, troisième fils de Noah). Par l’influence dominante qu’exerça l’élite intellectuelle des communautés germaniques sur cet amalgame hétéroclite de peuples, entraînant en même temps la création d’une langue commune à tous : le yiddish, agglomérat d’allemand et d’hébreu.
L’histoire de ces quelques ethnies juives n’est pas limitative ; on pourrait ajouter celles des juifs berbères, japonais, afghans et tant d’autres, qui vécurent éloignés et isolés du monde occidental. Aux époques les plus reculées, il y a des traces de présence juive dans tous les coins de la terre, partout où se transmettaient les valeurs morales et spirituelles de la culture juive, le savoir humain et la recherche du progrès.
De ce tour d’horizon, nous pouvons tirer deux conclusions
Dans ces ethnies marginales, une large proportion procède de conversions au judaïsme. On sait que, à part la conversion des Iduméens sous le roi Yohanan Horkanos (Jean Hircan) et la vague de prosélytisme qui suivit au début de l’ère chrétienne, les Juifs évitèrent la recherche de prosélytes. La plupart de ceux qui, pendant deux millénaires, ont adhéré à la foi mosaïque, le firent spontanément et par pure conviction quant aux valeurs morales et spirituelles du judaïsme.
La culture juive, bien comprise et ressentie, reste longtemps et profondément inculquée dans l’esprit de l’individu, malgré la dispersion et l’isolement, et en dépit de toutes les adversités.

 

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